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2 MAI 2017

La République et Leroy ou comment les traditions avaient du bon !

La République et Leroy

ou comment les traditions avaient du bon !

 

par Marc-Antoine JAMET, Vice-Président de l’Agglomération Seine Eure

 

Il y avait – naguère – dans notre République, deux ou trois traditions qu’il était de bon ton de respecter. Les Jules et Adolphe tout au début, Jean de Carmaux, Georges le Tigre, et Léon le populaire à leur suite, Vincent l’effacé et René l’effaré à leur tour, tout comme l’intransigeant Pierre et son verre de lait, Charles le connétable bien sûr, Georges aux gros sourcils et Valéry le dégarni également, jusqu’à François le florentin enfin, s’en accommodèrent fort bien. Ils s’en satisfirent même.

Je ne parle pas ici du septennat, du primat de la loi nationale, de l’indépendance des communes, du cumul des mandats et de la nocivité des primaires. Si ces piliers de notre civilisation politique, pendant cent ans et plus, ont été acceptés et compris de tous, ils passent aujourd’hui pour de la pornographie constitutionnelle. Il n’y aurait rien de plus haïssable qu’un sénateur-maire, rien de plus détestable qu’un candidat qui ne se soit pas soumis au vote interne des militants et des sympathisants de son parti avant de se présenter devant les électeurs de son pays, rien de plus dangereux que la cohabitation issue de deux votes contraires d’un même peuple. Tenons-le nous pour dit. Pratiques qualifiées de douteuses, voire de honteuses, par nos contemporains, tout épris qu’ils sont de cette transparence et de cette précaution dont ils se lavent la bouche chaque matin, le misérable petit tas de vieilleries qui ont fait la France des Trente Glorieuses et lui permirent de tenir son rang au siècle précédent, a donc été relégué, avec le droit canon, aux plus inatteignables des rayonnages des bibliothèques universitaires. Dans celles des particuliers, on en cache les vestiges, manuels, codes et polycopiés des années soixante-dix, non loin des ouvrages interdits qui, traitant de la « chose » sous ses formes les plus bestiales, redonnent aux couples fatigués un accès de fièvre le samedi soir. Aveuglés par les jolis mots de renouvellement et de modernisation que macronistes numériques, écologistes décroissants, populistes chavezistes et fascistes peroxydés nous servent à longueur de journée, confondant gaullisme et gâtisme, socialisme et saturnisme, Corrèze et Zambèze, nous avons fini par nous résoudre à abandonner ce qui faisait notre singularité et notre identité pour bêtement ressembler, pour ce qui est de notre organisation politique, à nos voisins. Avec leurs défauts, mais sans leurs qualités. Nous étions en tête. Nous sommes rentrés dans le peloton. Dans cette course à la banalité, on nous annonce que, bientôt, le poste de Premier Ministre sera supprimé afin d’affirmer le caractère présidentiel de notre régime. Comme aux Etats-Unis, mais sans leur puissance ni leur culture ! Une nouvelle balle que la France se tirera dans le pied : quelle absurdité, quelle stupidité… Cela étant dit, même si c’est notre Histoire, c’est une autre histoire que celle qui me préoccupe ici.

Ne pas réunir les Assemblées

Car ce ne sont pas les DS bleue nuit, l’ORTF, les forts des halles présentant leurs vœux au Chef de l’Etat et la rosière de Pessac lui adressant un sourire empourpré que je regrette. Je ne cherche pas à parler d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. « Colombey et Solferino en ce temps là accrochaient leurs Lilas ». La disparition que je déplore c’est, parce que tout devient procédure et contentieux, celle de ces non-dits et de ces non-écrits, de ces solutions de bon goût et de ces règles de bon sens qui, à la fois, donnaient de la souplesse à nos institutions et leur servaient de garde-corps. J’allais écrire de garde-fous. Je veux parler de ce que les professeurs de droit de la rue Saint-Guillaume appelaient avec gourmandise la « coutume ». Moins que la norme, plus que la jurisprudence, elle était un territoire imprécis, mais nécessaire, où prospéraient l’intelligence démocratique et la courtoisie républicaine, bref le génie français, sans dépasser pour autant l’importance et les limites au-delà desquelles l’interprétation et l’exégèse des sages de la rue Montpensier n’auraient pu la contrôler. Entrait de plain-pied dans cette catégorie, l’habitude, le terme est certainement trop faible, la bonne habitude, l’excellente habitude de ne pas réunir les assemblées délibérantes des collectivités ou de la Nation au moment des élections.

On en voit bien les raisons. Elles relèvent de l’évidence. Une majorité peu sourcilleuse – cela n’existe pas – pourrait, qu’elle soit municipale, intercommunale, départementale, régionale ou parlementaire, profiter de ces séances trop proches des scrutins, surtout si leur verdict la concerne directement, pour faire passer en bataillons serrés textes démagogiques, promesses utopiques et mesures chimériques, y compris budgétaires, afin d’appâter l’électeur transformé en gogo. Les hommes étant les hommes, notre vertu ne se comparant pas à celle des anciens latins, on imagine, les ordres du jour étant fixés par les exécutifs sortants, qu’ils y inscriraient plus volontiers des délibérations permettant de chanter leurs louanges que des interpellations aboutissant à pointer leurs lacunes. Ce serait légal, mais ce serait injuste, inégal, inique. « Votez pour moi. Demain on rase gratis » deviendrait le chant du cygne, le chant du sphinx de tous les sortants profitant de ces tribunes officielles pour, avec toute l’apparence du sérieux et l’onction publique, inonder de bonnes paroles les électeurs et renaître de leurs cendres.

Eviter la foire d’empoigne

Autre raison souvent invoquée pour expliquer cette interruption dans la tenue des réunions politiques, il est certain que, si de grands débats étaient inscrits à l’agenda du Parlement ou des conseils territoriaux, il n’en sortirait à pareille époque, pas grand chose de bon, de grand ou de sublime. Qui imagine opposition et majorité, après s’être invectivées à longueur d’émissions et de meetings, soudain s’arrêter pour adopter les discours les plus policés et faire les propositions les plus mesurées, chassant la démagogie, par pur esprit de responsabilité. Cela doit exister quelque part entre Finlande et Islande, mais pas au pays des querelles de Gaulois. On sait bien que, chez nous, cela ne marche pas comme cela. La majorité, maîtresse de la procédure, déroulerait la longue liste de ses bienfaits et de ses miracles. L’opposition réclamerait l’abrogation de lois scélérates qu’elle approuvait la veille et demanderait la démission de responsables dont, il y a peu, elle louait la sagesse, l’une comme l’autre dans le simple but de troubler citoyens et campagnes. J’entends électorales. Pendant trois mois, pire pendant la campagne officielle, chaque camp serait à l’affût du moindre micro ouvert, guetterait les stylos, courrait vers les caméras pour vitupérer, ratiociner, polémiquer. Pas pour proposer. Pas pour décider. C’est le jeu. On voit d’ici le champ de bataille ou le champ de foire, démagogique et inutile, que deviendraient nos assemblées nationales ou locales. Dans l’ensemble, jusqu’à présent, on s’est épargné ce spectacle, ce ridicule, ce désordre. Les grandes joutes politiciennes restent heureusement, le temps des grandes votations, confinées aux écrans, aux salles polyvalentes, aux journaux, aux repas de famille, aux bistrots, quelquefois aux parkings d’entreprise. Les murs de la République en sont épargnés.

Enfin, et ce n’est pas le plus idiot, beaucoup ont estimé que lorsque le sort d’un pays, d’une région, d’un département ou d’une commune était en jeu, mieux valait laisser femmes et hommes politiques animer des meetings, toquer à la porte des maisons, réfléchir à leur programme et soutenir leur héraut plutôt que les enfermer à température montante dans un hémicycle cocotte minute. Non seulement on leur évitait de s’étriper, mais on les invitait à revenir sur le terrain, devant leur base, en libérant leur temps de toute autre occupation qui les enfermerait dans un bureau ou une salle de commissions. C’est ce qui s’observe toujours au Palais Bourbon comme dans celui du Luxembourg. C’est la ligne que le département de l’Eure paraît suivre tout comme la région. C’est la contrainte que je me suis donné lorsque vient le moment pour mes administrés, en me désignant à nouveau ou me congédiant, de choisir leur maire. Pas de conseils municipaux. C’est plus clair. C’est plus normal. C’est plus honnête. L’air extérieur fait du bien aux idées. Voir de « vrais gens » peut avoir son utilité à la veille d’un mandat. Il faut « libérer » les politiques le temps des campagnes.

Laisser les élus sur le terrain

Il semble que cette tradition sans prétention ne soit pas parvenue jusqu’au Vaudreuil, non plus qu’à Louviers. En effet, Bernard Leroy a cru utile, jeudi 27 avril, « parce qu’il faut voter le PLUI et que c’est très important » (sic, sûrement plus que de voir un parti d’extrême droite emporter dans sa gueule l’Elysée trois-quarts de siècle après la chute de Vichy) d’inscrire 46 ou 47 délibérations pour une de ces interminables et languissantes séances dont l’agglomération Seine-Eure, dans son hideux bunker de béton, a le secret. En temps ordinaire, on soupire et on fait avec. Mais là, c’était, précisément entre les deux tours de l’élection présidentielle, le soir même où s’exprimait sur la plus grande chaîne de télévision un des deux candidats à la magistrature suprême. Bref, nous étions à un tournant de la campagne et il aurait été bien vu de laisser chaque élu de notre territoire écouter celui qui sera sans doute le futur Président de la République pour se forger une opinion pour eux mêmes et ajuster les arguments qu’ils proposent à leurs concitoyens. Au lieu de cela, on a confiné les maires d’une grosse trentaine de communes de l’Eure dans une salle sans fenêtres pour qu’ils débattent pour la énième fois de savoir si l’actuel Maire de Louviers devait bénéficier d’un, deux ou trois coups de pouce financiers chaque mois pour réussir au bout du bout à ne pas gérer sa ville. Passionnant. Qui va déclencher le feu nucléaire ? Ah, de grâce, ne nous dérangez pas, nous sommes en train de décider de l’affectation maraîchère d’une parcelle en bordure d’Iton ! Le prochain chef de l’Etat modifiera-t-il le régime des retraites, des impôts et du chômage ? Mais vous ne voyez pas que nous sommes sur le point de modifier un carrefour champêtre ? Soit, mais à ce train là, il aurait fallu demander à la chambre des députés de mai 1940 de continuer à légiférer sur les bouilleurs de cru, plutôt que d’aller à Bordeaux. Quitte à élire Pétain, cela se serait fait sans bouger de la capitale, sans lever la séance sous la protection de l’armée allemande…

Ce n’est pas sérieux. C’est pourquoi je me suis permis, un chien pouvant bien regarder un évêque, d’interpeller le président de l’intercommunalité sur l’insupportable légèreté dont il faisait preuve en la matière. Devant tous les délégués de l’établissement public intercommunal, il a juré, assurant le faire sans malice, ne pas connaître pas l’existence, ni comprendre la justification de cette trêve des confiseurs quinquennale qui, prudemment, renvoie les élus à leurs tractages, à leurs boîtages, à leurs collages quand on élit le Président de la République au suffrage universel. On aurait pu lui pardonner cette ignorance s’il avait été, perdreau de l’année, un grand débutant, le lait lui coulant du nez, et que son expérience politique était encore toute neuve. Mais, comme il a été successivement en quarante ans maire, conseiller régional, député, conseiller régional, délégué communautaire, on doit en conclure que, en bon centriste, sans cri, sans éclat, sans agressivité, il se moque tranquillement du monde. Tout comme le Maire de Louviers, pourtant ci-devant fonctionnaire des Assemblées, qui, 48 heures après que le Front National l’a emporté dans sa cité, lui aussi arguant de son ignorance de l’usage consistant à s’en abstenir, a réuni un conseil municipal permettant tacitement à son adversaire et prédécesseur dont on connaît le talent, le bagout, le métier, trop heureux d’avoir une telle caisse de résonnance à pareille époque, de transformer une discussion en foire d’empoigne. Joli climat, subtile introduction pour une présidentielle déjà à risques.

Empêcher les discours populistes et racistes

Plus grave fût ce qui se passa à la communauté d’agglomération. Parce que la période l’y incitait, un olibrius du Front National profita de ce conseil convoqué par Bernard Leroy pour prendre la parole. Il est délégué désigné. On ne peut l’en empêcher. D‘ordinaire, nul n’y prête attention. Avec la famille Le Pen à 30% des voix dans l’Eure, c’était naturellement une autre affaire. Faisant preuve d’une rare grossièreté, cet individu s’en prit au maire de Bohicon, Luc Atropko, qui était ce soir là notre invité et, dans une moindre mesure, à celui qui pilote bien des délégations africaines en Normandie, Hubert Zoutu notre collègue d’Heudebouville, dont il n’a échappé à aucun de ceux qui l’approchent que sa peau a des reflets moins pâles que la mienne. Parce que le moment qui lui était offert s’y prêtait merveilleusement, nous avons eu droit avec le représentant de Mme Le Pen au Pont-aux-Anes du racisme le plus crétin et de la bonne conscience coloniale la plus bornée. Nous avons, par notre maladresse, je ne veux pas penser complicité, ajouté à ses moyens de campagne et à son temps de parole un bonus inespéré. Il y a bien un responsable à cela ?

Pour moi c’est Bernard Leroy. Comme la Quatrième République à qui on pardonnait de gouverner mal parce qu’elle gouvernait peu, il préside avec parcimonie. Avec modération, comme on le dit de l’absorption d’alcool, c’est à dire à faible dose. Aucune chance qu’en soufflant dans le ballon, on ne lui diagnostique un excès d’autorité ou un coma pragmatique. C’est d’ailleurs ce qui, en général, fait son charme. Pas au cas présent. Son silence obligea notre hôte africain à se défendre lui-même pour répliquer aux propos scandaleux qui furent proférés contre lui, propos qu’on peut regretter au nom des lois sacrées de l’hospitalité, mais surtout en vertu de notre éthique, de nos valeurs, de la devise de notre pays. Heureusement, notre ami béninois, donnant une leçon d’éloquence à ceux qui restaient muets, terrorisés par l’incident, fit rentrer avec habileté, avec fermeté, la bête immonde dans le ventre encore fécond d’où elle était sortie.

Quelle leçon en tirer ? Oublions l’impréparation, l’inconsistance et l’improvisation de ces débats, puisque c’est une constante de notre intercommunalité. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’agglomération Seine-Eure, parce qu’elle n’a vu venir ces cinq semaines d’élections dont chacun sait depuis juste cinq ans qu’elles allaient intervenir au printemps 2017, parce qu’elle n’est pas parvenue à adopter la réserve avisée qui sied aux périodes délicates de la politique hexagonale, parce que bureaucratiquement elle a continué d’avancer, seule de son espèce, qu’il pleuve, qu’il vente, et même si les loups sont entrés dans Paris, a offert un extraordinaire porte-voix à des propos probablement xénophobes, sans doute racistes, certainement indignes. Quitte à se réunir, elle aurait pu lancer un appel démocratique et républicain à toutes les femmes et à tous les hommes de bonne volonté pour faire chuter le Front National, battre le tambour de la mobilisation pour que recule l’abstention. Elle s’en est bien gardée. Cela ne lui est même pas venu à l’esprit. Non, il lui fallait remplir une double mission sacrée : voter son PLUI et permettre au représentant plénipotentiaire et titubant de Mme Le Pen de proférer quelques horreurs choisies. Mission remplie.

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