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22 MAI 2021

Sollicité par l’Association « NON À L’AUTOROUTE A133-A134 », comme l’ont été tous les candidats aux prochaines élections départementales, j’ai tenu, en approuvant chacune des propositions formulées par ses adhérents, à rappeler mon hostilité de la première heure et mon opposition constante au projet de contournement Est de Rouen, dévastateur pour notre environnement et le cadre de vie des habitants du canton du Vaudreuil/Léry/Poses/Porte de Seine/Herqueville/Connelles/Amfreville sous les Monts/Val-de-Reuil. Contrairement à d’autres, dont l’avis varie à l’approche des élections, nous sommes les seuls à avoir déposé des recours devant la justice pour interdire sa construction.

 

Mesdames les candidates et Messieurs les candidats aux élections départementales, l’association « Non à l’autoroute » (siège social à Léry) aimerait connaître votre avis sur le projet autoroutier A133-134.

Nous vous remercions par avance de répondre à nos courtes questions.

Vous pouvez joindre un commentaire dans le cadre à la fin du courrier.

Vos réponses seront rendues publiques afin d’éclairer le choix des électrices et électeurs.

Je vous prie d’agréer, Mesdames, Messieurs, l’expression de ma considération distinguée.

Maxime Bunel

Président de Non à l’autoroute A133-A134

Voici le questionnaire et son introduction :


Cette autoroute supplémentaire qui viendrait raccorder, sur le territoire Seine Eure, l’A28 à l’A13 au niveau de la forêt de Bord, en serpentant entre Le Manoir, Alizay, Les Damps, Léry, Val de Reuil, est un non-sens à la fois économique et écologique.

Non-sens économique. Elle ne servira en rien l’activité économique sur le territoire, car elle concernera, pour l’essentiel, le trafic de transit international nord-sud de l’Europe. Le montant prévu des péages sera dissuasif pour le trafic de transit nord-sud et le trafic d’échange plus local. Rappelons le développement de l’autoroute ferroviaire qui peut par les voies actuelles se substituer à ce projet pour beaucoup moins cher.

Le territoire Seine Eure est déjà traversé par deux autoroutes (l’A13 et l’A154), une autoroute supplémentaire n’est pas une priorité. La pandémie de la Covid-19 va laisser des traces dans l’économie, l’argent public devra servir à endiguer les pertes économiques et financières, à aider les secteurs de l’économie et les citoyen.nes touché.es par cette pandémie et non gâcher près d’un milliard d’euros dans un projet qui n’est plus d’époque.


Non-sens écologique car elle détruira des espaces naturels riches, des terres agricoles, la lisière de la forêt de Bord, longera une zone Natura 2000, apportera de la pollution supplémentaire : émissions de gaz à effet de serre en plus et de particules fines, de produits toxiques dus à l’abrasion des pneus et freins). Cette balafre autoroutière va modifier négativement le cadre de vie de milliers d’habitant.es (bruit donc stress, éloignement de la forêt, pollution visuelle constante, accroissement des maladies dues à la pollution de l’air) va détruire définitivement ce paysage surplombé par la Côte des Deux Amants, qui est un site classé.


Au moment où le réchauffement climatique met en évidence la nécessité de changer les modèles de développement économique et en particulier les modes de transports des marchandises et des personnes, ce projet vieux de 50 ans, n’est pas adapté aux réalités actuelles. Notre territoire a la chance d’être traversé par la Seine et la voie ferrée Rouen-Paris. L’argent public récupéré, près de 500 millions €, si le projet A133-A134 est définitivement abandonné, pourra être investi dans une politique des transports adaptée aux urgences du moment, sociale, écologique, économique, et rendre service à la grande majorité de la population.


Notre association propose des alternatives : quel est votre avis ?

  • Favoriser la liaison entre la métropole de Rouen et l’agglo Seine Eure utile à des milliers de personnes qui transitent chaque jour dans les deux sens en développant les transports en commun (en amplitude, en cadencement) le co-voiturage, l’autopartage. D’accord / Pas d’accord

  • Faire de l’A13 la voie de circulation prioritaire entre les deux agglomérations en supprimant le péage d’Incarville qui rejette quotidiennement des milliers de véhicules sur le réseau secondaire. Y baisser la vitesse à 90km/h, comme sur les rocades péri-urbaines. D’accord / Pas d’accord

  • Développer le transport multi-modal. Favoriser le fret ferroviaire et le fret fluvial. La Seine, fleuve navigable par excellence, est sous utilisée. Le réseau ferré a jadis développé un important trafic de marchandises, il peut toujours répondre aux besoins de transports du fret actuel. D’accord / Pas d’accord

  • Développer l’utilisation du vélo en construisant des pistes cyclables, en favorisant la combinaison vélo-transport en commun. Le vélo a été un moyen de transport populaire et partagé par un grand nombre de personnes, il peut le redevenir. D’accord / Pas d’accord

  • Conforter les démarches actuelles de mise en service d’une liaison ferroviaire entre Rouen et Evreux qui passerait par Louviers, étudier la meilleure solution (tram-train ? Train léger ?) D’accord / Pas d’accord

  • Désenclavement de la Vallée de l’Andelle : utiliser au mieux la ligne Etrépagny/Alizay qui allait jadis à Gisors pour le fret et l’ouvrir au trafic voyageur; maintenir l’interdiction de la circulation des poids lourds de plus de 19 tonnes sur la D 321 d’Alizay à Fleury sur Andelle, les dévier sur les grands axes routiers et autoroutiers existants. D’accord/Pas d’accord

Vos commentaires éventuels ou votre proposition alternative :

« Je crois que je n’ai pas besoin de vous dire combien je suis hostile à l’autoroute de contournement Est de Rouen, puisque Val-de-Reuil, à mon initiative, dépose recours contre recours – depuis le premier jour, on peut vérifier – pour qu’elle ne se fasse pas, consacre des fonds importants à ce combat, sert discrètement de point d’appui à nombre de démarches juridiques s’opposant également à ce projet démentiel, coûteux et qui ne répondra pas aux objectifs quoi lui sont fixés. En mairie notre juriste y consacre une part non négligeable de son temps de travail depuis plusieurs années. Nous avons subi les foudres et les représailles du DDE à plusieurs reprises, sans que, d’ailleurs, j’ai pu noter, au-delà de Léry et Poses, communes amies, qu’une solidarité particulière s’organise pour en atténuer les effets. 
 
Je réponds, non moins évidemment, par une approbation totale à l’ensemble des propositions que vous faites en alternative réalisable, souhaitable, favorable qu’il s’agisse de multi-modalité (la Gare de Val-de-Reuil, dont la commune – chose exceptionnelle en Normandie – a payé une partie. Bien qu’elle bénéficie à toute notre agglomération, en témoigne à sa façon), d’énergies propres (une station de recharge hydrogène au rond-point des pommiers, une station de recharge électrique rapide d’une vingtaine de postes, au rond-point des clouets, sont en cours d’aménagement ), de liaison ferroviaire avec Evreux/Caen (à la condition que cela ne conduise pas à la création de deux gares voisines de quelques kilomètres sur notre territoire, de tracés absurdes et redondants, de ruptures de change et de liaison routière entre les deux lignes passant devant les fenêtres des malheureux habitants de Louviers ou de Pinterville, si l’embranchement se faisait, non au niveau de la gare actuelle, mais à celui de Vironvay/Heudebouville, sans parler du coût redoublé que nécessiterait ces redondances), d’utilisation renforcés du vélo (contrairement à ce qui peut exister dans d’autres parties de l’agglomération et que je n’approuve pas, Val-de-Reuil a décidé que ses voies cyclables seraient en site propre, sécurisées et signalées par un revêtement d’une couleur spécifique).
 
Puis- je cependant compléter votre courrier de plusieurs remarques ? 
 
Il est clair que les questions principales, en tout cas les plus immédiates, sont celles des paysages et de l’environnement (l’éventrement de la forêt de Bord à la hauteur de Léry n’est pas plus imaginable qu’un viaduc coupant la Seine et l’Eure à 50 mètres d’altitude en parfaite visibilité de tous les points qui font la beauté de notre cadre de vie – je songe à la côte des deux amants – et en défigurant Pitres, Le Manoir, Pont-de-l’Arche, bien d’autres communes encore) mais aussi celle du renforcement de la pollution (dans une aire qui en était à peu près préservée). Toutefois, il y a d’autres points qu’il faut ajouter à ce premier bilan désastreux.  
 
1) Une question sociale : est-il normal qu’un véhicule qui s’arrête à Val-de-Reuil après s’être déjà acquitté d’un droit au péage de Heudebouville/Vironvay en acquitte un second au péage d’Incarville lorsqu’il repart vers Rouen ? Est-il normal que tous les usagers venus de notre canton le payent également pour emprunter un tronçon théoriquement gratuit, subventionnant le tronçon payant situé avant le péage de Heudebouville-Vironvay ? 
2) Une question de sécurité routière : le contournement de Rouen n’aboutirait pas seulement à une échangeur entre l’A13, l’A154 et l’A28, mais aussi à un diffuseur depuis ces autoroutes vers le réseau secondaire. Croit-on vraiment que les rond-points des Clouets, de Saint-Pierre, du fantôme, du monument, des pompiers, des pommiers sont en capacité, alors qu’ils sont déjà saturés soir et matin, parfois également dans la journée, d’accueillir de nouveaux véhicules ? 
3) Une question politique : comment certains candidats – je pense notamment à ceux de la droite et de l’extrême droite –  peuvent-ils prétendre qu’ils sont contre cette autoroute alors que leurs « amis » qui se présentent sous les mêmes étiquettes à la région – il est vrai que la liste LR/LREM de l’Eure ne sait si elle doit soutenir M. Bonnaterre ou M. Morin –  sont pour ? Avec mes camarades et alliés de la métropole, Nicolas Mayer-Rossignol, et de la région, Mélanie Boulanger et Laetitia Sanchez, nous sommes, comme tous ceux qui savent ce qu’est vraiment le progrès, sur la même ligne : « non à l’autoroute ». 
4) Une question industrielle qui est une question de bon sens que je me tue à enseigner à Bernard Leroy, parfois bien léger ou bien suranné : si une voie nouvelle connectée au nord de l’Europe peut éventuellement apporter emplois et richesses, elle peut aussi – on vient de le voir avec la recherche Janssen qui nous déserte pour les Flandres – en emporter loin de notre territoire ou plus facilement encore vers d’autres parties soit plus littorales, soit plus centrales de notre pays. On a connu autant de voies structurantes qui asséchait un éco-système par l’évasion de son dynamisme que le contraire. C’est un jeu aventureux auquel on risque l’avenir de notre département pads toujours attractif.
5) Une question économique qui est aussi une question d’égalité : on a bien compris que ce contournement s’il se faisait (et il ne se fera pas) serait réservé à ceux qui pourront en payer le prix extravagant – une sorte de dîme, de gabelle ou de champart trois siècles après l’abandon des privilèges – et interdit à ceux, la majorité d’entre nous, salariés, retraités, artisans, jeunes qui n’auront pas les moyens de faire face à une dépense qu’on annonce pour un aller-retour en dizaine d’euros. 
6) Une question budgétaire enfin et c’est le magistrat à la Cour des comptes qui parle, celui qui a fait entre 2000 et 2015 de la Normandie, dont j’étais le responsable des finances, la région la mieux gérée de France, celui qui a désendettement sa ville : il ne s’agit pas de savoir ce que l’on pourrait faire avec les sommes astronomiques (on va vers le milliard et plus) qui seront aspirées par cette folie, car ce n’est pas du tout ainsi que le problème se pose techniquement, pratiquement, mais bien plus de s’interroger sur ce qu’on ne fera pas pour payer cette ponction démesurée et où ?  On ne se privera pas de quelque chose de supplémentaire. On fera une croix sur quelque chose d’indispensable. Je n’imagine pas les habitants de Bernay ou de Pacy-sur Eure être mis à la diète, pas même ceux d’Évreux. Ce sont nos collectivités de proximité. Clairement ce davantage de bitume, ce sera moins d’éducation, moins de santé, moins de solidarité d’une part, moins d’investissements pour les transitions écologiques, technologiques, économiques et numériques d’autre part. 
 
Dès lors, l’Eure continuera de ronronner, invisible, oubliée, dépassée. C’est cela que nous voulons éviter, conjurer et changer. Parce que nous voulons l’Eure du réveil et pas l’Eure de l’immobilisme comme aujourd’hui.
Marc-Antoine Jamet
22 MAI 2021

Les trois morts de François Mitterrand

Les trois morts de François Mitterrand

par Marc-Antoine JAMET

Une date est importante lorsque, jour, mois, année, elle ne forme plus qu’un tout indissociable. De Gaulle fût élu en 1965, Pompidou en 1969 et Giscard en 1974, mais François Mitterrand devînt Président de la République le 10 mai 1981. Il y a 40 ans. Une date se hisse dans l’Histoire lorsqu’on n’oublie pas ce qu’on faisait ce jour-là. Je revois la moue désabusée du maire (de droite…) de ma petite commune de banlieue apercevant mon blouson, ma mobylette et mes cheveux longs : « celui-là, c’est pas pour nous ! ». Une date, enfin, entre dans la légende quand une génération entière s’imagine l’avoir intimement vécue. L’accession au pouvoir du premier président socialiste de la Vème République relève de cette catégorie. Comme le Stade de France pour les supporters des bleus en 1998, la Place de la Bastille aurait été bien trop petite pour accueillir tous ceux qui pensent et racontent – avec sincérité ! – avoir, jusqu’au fameux orage, dansé de joie au pied de la colonne et de son génie ailé. Ils sont des dizaines, des centaines, des milliers à s’en rappeler. Quand bien même serait-ce par procuration, il est agréable le goût de la victoire.

Directeur de cabinet du Président de l’Assemblée Nationale, puis du Premier secrétaire du parti socialiste, enfin du Président du Groupe socialiste, entre 1992 et 1997, avant d’occuper par la suite d’autres postes du même acabit, je n’ai connu de l’intérieur que le second septennat. Comme beaucoup dans ce petit milieu, il m’est alors arrivé de rencontrer celui que, dans son dos, ses ministres appelaient le « vieux », mais qui, en sa présence, lui donnaient du « Président » à s’en décrocher la mâchoire. Il impressionnait. Deux fois, sentant le sol se dérober sous mes pas, j’en ai fait les frais. Henri Emmanuelli, pressentant la défaite que suivrait le suicide de Pierre Bérégovoy, désirait me nommer à la Haute Autorité de l’Audiovisuel. A l’Élysée, j’attendais dans l’antichambre confirmation de ce projet quand la voix si reconnaissable à dessein s’éleva : « j’ai déjà nommé le père, je ne vais quand même pas recaser toute la famille ». Et pour punir mon audace, sympathique cruauté, on me donna à instruire le dossier de la jeune femme désignée à « ma » place. Dans les jours sombres qui suivirent la publication du bouquin de Pierre Péan sur la jeunesse contrastée du Président, j’allais au « château » voir le Secrétaire Général de la Présidence, comme il était normal à l’époque que je le fasse. Dans le bureau des secrétaires, Hubert Védrine s’affairait triant des montagnes de papiers. Je lui demandais ce qu’il pouvait bien archiver à cette heure quand le timbre chuintant, qu’avaient popularisé imitateurs et humoristes, à peine affaibli par la maladie, retentit, exaspéré, derrière moi : « puisque vous êtes là, au moins rendez vous utile ». C’est ainsi que, tard dans la nuit, j’agrafais les argumentaires qu’une presse, qui les questionnait, recevrait le lendemain sur les faits d’armes et l’impeccable résistance du Chef de l’État. Peine perdue.

Est-ce parce que cela l’atteignait, par nature ou parce qu’il sentait la vie qui s’enfuyait, il pouvait être d’une extrême dureté. Vers la fin, on me chargea d’organiser un repas secret où le Président convierait les anciens premiers ministres de ses gouvernements et les anciens premiers secrétaires de son parti, ainsi que quelques barons du nord et du Pas-de-Calais qu’il avait souhaité qu’on ajouta. Sa tasse d’hibiscus devant lui (« la boisson d’immortalité des pharaons »), enfoncé dans un amoncellement de coussins, l’inquiétant docteur Jean-Pierre Tarrot à ses côtés, le déjeuner tourna au règlement de comptes interne à la défunte SFIO. Mitterrand, soudain ragaillardi, revivait le congrès d’Épinay, taxant, vingt ans après, de « molettistes » ceux qui s’étaient opposés à sa synthèse (« à cette table, j’aurais étéminoritaire »), rappelant méchamment à Pierre Mauroy qu’il avait convaincu le maire de Lille, Augustin Laurent, de s’en retourner à la faveur d’un enterrement providentiel vers son beffroi plutôt que de rejoindre ses opposants (« c’était aux pissotières, Pierre, oui, aux pissotières ») et révélant enfin à Jean-Pierre Cot, Pierre Joxe et Lionel Jospin que leur coupe de cheveux « afro » leur valait le surnom d’« Angela Davis » dans les couloirs de Solferino. Dans mon souvenir, Jospin répliqua courageusement « et vous Dracula, Président, à cause de vos dents », ce qui jeta un froid. Mitterrand, teint de cire, visage creusé et lèvres blanches, ne reprit l’avantage que par une méditation sur la mort, le ciel gris, les nuages et le temps, exercice dans lequel, de cimetière parcouru en église visitée, il excellait depuis soixante bonnes années.

Il pouvait faire aussi preuve d’une étrange humanité. Décorant mon père, il en fit un portrait si juste, si bienveillant, expliquant – seul à pouvoir le faire – les raisons morales et politiques, lointaines et familiales, qui avaient amené un journaliste de droite, connu et admiré pour cela dans Paris, passé par Le Figaro, L’Auroreet Le Quotidien de Paris, à soutenir un homme de Gauche que tous ces journaux conspuaient allègrement. A la fin d’un discours inhabituellement long, alors qu’il pouvait expédier ces cérémonies, je vis quelques larmes rouler, bien qu’il n’ait jamais cessé de le nier, sur les joues du récipiendaire, tandis que François Mitterrand, le dos rompu par les métastases qui l’envahissaient, retournait s’allonger dans une alcôve dressée pour un impossible repos, non loin du bureau où trônait la maquette de la Très Grande Bibliothèque…

Mais c’est par ses trois morts que je n’oublierai pas François Mitterrand. La première eut lieu le 20 novembre 1994. 13 ans après Créteil et sa désignation comme candidat à la magistrature suprême, le Président socialiste retrouvait à Liévin un congrès de son parti. Il arriva par le train. Épuisé. Hagard. Son discours devant la stèle des 42 mineurs tués dans la catastrophe de 1974 fût un calvaire. Un maigre gargouillis sortait de sa bouche. Il chancelait. A peine le dernier mot chuchoté, on l’évacua vers la Mairie où il s’effondra inconscient. Alors que la foule le demandait, il était allongé à même le sol, entouré de gardes du corps et de médecins. On le piqua. On le soigna. On lui donna des dizaines de cachets, de comprimés et de médicaments. Au bout d’un moment de ce traitement intensif, la vie reprit le dessus. Il se releva, ressuscita, reparla, recevant debout, triomphant et souriant, un tonnerre d’applaudissements. Comme si de rien n’était. Une seconde fois, il passa devant moi de vie à trépas. Après avoir salué Jacques Chirac qui lui succédait, le 17 mai 1995, il était revenu au siège du Parti Socialiste, avant de rejoindre la rue de Bièvre, refaisant à l’envers le chemin du 10 mai 1981. Il fût étincelant. Parlant de chic, comme s’il n’avait jamais quitté cet hôtel particulier mal foutu et familier aux militants. Sa conclusion, « vous reviendrez au pouvoir plus vite que vous le croyez », était prémonitoire. Il voulut revoir le bureau historique des premiers secrétaires. La journée avait été longue et compliquée. Il avait présumé de ses forces. Soudain, chaque marche lui sembla infranchissable. Il s’essoufflait, vacillait, étouffait littéralement. Dans son ancien bureau, il tourna de l’œil et tomba. Le sang avait quitté son visage. Il était un cadavre. On le porta sur un canapé. Autour de lui, le ballet recommença. Seringues. Potions. Réanimation. Le protocole dura plus longtemps. Il se releva plus difficilement. Les hiérarques s’inquiétaient de son absence. On entendait les voix de Martine Aubry, Ségolène Royal et Élisabeth Guigou tambourinant sur la porte : « rendez-nous le Président ». Il reprenait ses esprits. Après avoir refusé de se montrer au balcon (« vous me prenez pour Mussolini ! »), il redescendit parmi ses camarades, posa presque guilleret devant le poing et la rose et repartit en voiture sous les vivas. La troisième de ses morts fut différente. Plus rapide. Plus brutale. A 6 heures du matin, le 8 janvier 1996, Pierre Joxe, sur un ton policier, me téléphona   : « Jamet, je veux voir Fabius à son bureau au Palais-Bourbon ». C’était celui qu’avait occupé François Mitterrand pendant 20 ans d’opposition. Laurent Fabius y arriva. « Le président est mort cette nuit ». Voilà ce que l’ancien ministre de l’intérieur avait à dire. J’étais ému. Les deux hommes l’étaient aussi, calmes et orphelins, atteints sans être anéantis, comprenant simplement que plus rien pour eux ne serait comme avant. Ils l’avaient tant aimé, aidé, admiré et imité.

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