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24 NOV 2022

À l’invitation de mon ami Matthias Vincenot, j’introduisais, depuis le Théâtre Rouge du Jardin d’Acclimatation, la remise des prix de « Poésie en Liberté »

Discours de M. Marc-Antoine JAMET

Secrétaire Général du Groupe LVMH

Théâtre Rouge du Jardin d’Acclimatation

Remise des prix de « Poésie en Liberté »

Lundi 21 novembre 2022 à 19h00

 

Mesdames et Messieurs,

Le métier de secrétaire général de LVMH est assez peu poétique. On en conviendra sans peine et j’en administre par mon costume gris, ma chemise blanche et ma cravate éteinte, la triste preuve. Mon emploi, qui relève de la tragédie plus que de la comédie, consiste, en effet, à vendre des sacs à main, des rouges à lèvres et des bouteilles de champagne. J’en suis fier, mais cela m’éloigne du Parnasse. Je dois donc l’avouer : mon activité est un peu triviale. Il me permet cependant de vous accueillir dans cette salle du Théâtre Rouge du Jardin d’Acclimatation, concession de service public que la Ville de Paris a confié au leader mondial du luxe. A défaut de taquiner la muse, je nourrirai ce soir ses adorateurs.

Mais là aussi, je crains que nous commettions un terrible impair. Certes, ce parc est synonyme de littérature. Anatole France et Marcel Proust le fréquentèrent. Tant est si bien que, alors que nous célébrons cette année le centenaire de la mort de son auteur, après salué l’année dernière le cent-cinquantième anniversaire de sa naissance, il est cité à plusieurs reprises, privilège insigne, dans « La Recherche ». Davantage du côté des Guermantes que de celui de Swann, reconnaissons-le. Évidemment, ce parc est musical. Ravel et Debussy composèrent dans ses allées. Mais est-il poétique ? L’Histoire s’y oppose. Ses fondateurs, Napoléon III et l’Impératrice Eugénie, avec ou sans Prosper Mérimée, furent les adversaires du plus grand poète français, du proscrit de Jersey et Guernesey, de la légende de son siècle, de Victor Hugo.

Celui qui nous réunit, Matthias Vincenot, dans sa très grande mansuétude, a décidé néanmoins de passer outre. Au nom de l’amitié. Il dit me connaitre depuis 20 ans. Je le fréquente depuis 35. Les poètes savent rester jeunes. Stagiaire, récipiendaire, professeur à la Sorbonne et poète, je l’ai vu, au fil des décennies, n’avoir qu’un combat, ne défendre qu’une cause, en relever sans cesse le drapeau : celui de la poésie. Je l’en admire. Il est des engagements moins complexes et moins difficiles. Il y est pourtant fidèle. C’est un militant poétique.

Je suis donc très heureux qu’il m’ait invité à introduire cette soirée consacrée à la poésie. Je suis cependant inquiet de mon discours qui, sur un sujet trop élevé pour que je le maîtrise correctement, aura sur vous l’effet d’une dissertation de collège auprès de son correcteur, voire d’une camomille à la fin d’un repas dominical. Au premier rang de ce théâtre, je devine d’ailleurs des visages sévères, quelques rides et des cheveux blancs. Ce sont les membres du Jury. Ils sont impressionnants, même si j’y reconnais Jérôme Clément. Heureusement, derrière eux, j’aperçois la foule avenante des 15/25 ans que vous allez bientôt récompenser. Ils sont enthousiasmants.

Je souhaite évidemment que, galvanisé par leur exemple, leur mobilisation, notre rassemblement éveille un intérêt plus vif, plus large, plus grand, un intérêt quasi olympique pourrait-on dire à la veille des jeux de Paris, pour les poètes et pour leurs œuvres. Ce serait chose utile. Je n’imagine pas plus que vous un monde sans poésie et sans poètes. Si la preuve que le pudding existe, c’est qu’on le mange, la preuve que la poésie est vivante, qu’elle est actuelle, qu’elle est nécessaire, ce sont d’abord les poètes.

Nous en avons de bons et de grands, aimés bien au-delà de nos frontières. Je pense à Aragon. Que serions sans lui qu’un « cœur au bois dormant » ? Nous en aimons aussi venus d’ailleurs. Je songe à Nazim Hikmet dont ma mère avait affiché l’autobiographie dans sa chambre : « à trois ans, je fis profession de petit-fils de pacha ». De jeunes talents, ceux à qui vous allez remettre vos prix en témoignent et continuent d’apparaître. Ainsi va la relève, qui ne remplace personne, mais qui, à son tour, fait œuvre neuve. Vous êtes, chers mais, la garde montante.

J’ai dit que votre initiative était utile. Les poètes ne sont pas assez lus, quoique les tirages d’aujourd’hui eussent fait envie, de leur vivant, à Baudelaire et à Rimbaud. Il n’en demeure pas moins qu’il y a trop peu d’équipements, trop peu d’accompagnements pour les soutenir. Peu d’éditeurs, peu de structures pour les diffuser. J’ai la chance d’abriter dans la Ville dont je suis le Maire, en Normandie, à Val-de-Reuil, la plus jeune commune de France, une Maison de la Poésie. Elle est unique en Normandie. C’est une oasis dans un désert. C’est pourquoi, il faut aider non seulement la création, mais aussi l’édition et la diffusion des œuvres poétiques. C’est que nous faisons ensemble… Nous avons raison. Les auteurs et les autrices sont de plus en plus nombreux. On assiste dans la poésie au foisonnement des écritures et des idées. Il faut les faire connaître et reconnaître.

La poésie, toutefois, est un art mystérieux. Il faut l’apprivoiser. Elle évoque tous les sentiments et tous les stades de la vie. Elle dit l’amour et la mort, la vieillesse et l’enfance. Elle nous berce paradoxalement de la misère humaine. Elle vante la précarité universelle, celle de l’existence, de la sincérité, de la confiance. Elle est gravité et légèreté, joie et tristesse, nostalgie et folie. Elle fait parler les animaux et chanter les mots. Ce faisant, elle enchante. Même ceux qui ne la lisent pas. Elle est innovante et éternelle, improvisée et encadrée, spontanée et formelle. De René Char qui définit le poème comme « un bout d’existence incorruptible » à Aimé Césaire pour qui la poésie est «  le battement de la vague mentale contre le rocher du monde« , on en revient toujours à cette idée la poésie prépare « à un rêve partagé qui ne serait plus solitude« .

Il est vrai que la poésie, lorsqu’elle est juste, atteint à l’essentiel. Elle va droit au cœur de ce qui est. Elle dit tout ce qui pourrait être. Elle est le « modeste violon « de Verlaine. Elle évoque avec Ronsard « l’éphémère parfum des roses ». Elle est messagère d’espoir, de liberté, entendue dans les périodes et dans des temps ou des lieux où d’autres paroles sont muselées. Elle reste après que tout a disparu, après que ceux qui l’ont composée nous ont quittés. « Longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues ».

On n’imagine pas pouvoir un jour s’en passer. On ne se résigne pas à ce que tous n’y aient pas accès. Elle est rétive aux approches superficielles, aux engouements éphémères, aux modes orchestrées. Elle exige du lecteur qu’il fasse lui-même un bout de chemin et, de préférence, obtienne le silence autour de lui, peut-être même en lui. De l’éthique du poète à la pratique du lecteur, des correspondances s’établissent.

Elle est un antidote au bruit et à la fureur. Elle plaide pour la paix et exclue le fracas de la guerre. Dans un monde de plus en plus virtuel, elle plonge au cœur du réel. Dans une société des écrans et de l’instant, elle ralentit charnellement le temps. Dans une époque qui consacre trop souvent la futilité et l’accessoire, elle touche à l’essentiel, au sens et au partage.

Il est rare de citer François Mitterrand dans un festival de Poésie et, pourtant, c’est avec lui que je voudrais conclure. Le chat de Château-Chinon disait voici 35 ans, des mots qui me vont puisque je suis devenu, voici une semaine, pour la première fois grand-père. : « J’en ai pris le goût jeune, en cet âge – l’adolescence – qui est le temps de l’éveil des curiosités, des interrogations. Et je voudrais, si le poète, comme on l’a dit, est le dernier habitant de son enfance, qu’il fût aussi, très tôt, le compagnon de nos enfants. »

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress