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29 JAN 2016

Intervention au Conseil Régional de Normandie le 28 janvier 2016 – Indemnité des élus

Monsieur le Président, chers collègues,

Cette disposition touche aux principes mêmes de l’exercice de notre mandat. Elle mérite qu’on s’y attarde autrement que par des calculs d’Apothicaire. Sa justification remonte aux origines de la vie politique née avec la démocratie à Athènes, elle est ressuscitée dans la constituante.

On peut donc imaginer que ce qui convenait à Robespierre et Périclès pourrait nous aller. Comme ils ne siègent pas dans cet hémicycle, nous allons éviter leur prosopopée et sans suspens ne pas nous opposer à votre proposition.

Au nom de mon groupe à qui vous souhaitez confier la présidence de la commission des finances et sans l’idée de faire de cette première séance pour la remplir un réquisitoire, je voudrais cependant signaler les cinq dangers que contient cette délibération que je joins à d’autres. Je vous en impute moins la responsabilité qu’à l’air du temps mais comme vous avez commencé ce matin par les 4 vérités de France 2, je continue.

Le premier, c’est celui de la démagogie parce qu’elle est infondée historiquement. Le second, c’est celui de l’insuffisance, parce qu’elle est peu lisible politiquement. Le troisième, c’est celui de la non-insignifiance parce qu’elle est invisible budgétairement. Le quatrième, c’est celui de la faible efficacité parce qu’elle est insensible économiquement. Le dernier et le plus grave, c’est celui de l’inexactitude parce qu’elle est fausse arithmétiquement.

Cette délibération court le risque d’être considérée comme populiste parce qu’il est de bon ton aujourd’hui de crier « haro sur le baudet » lorsque l’on parle des élus. Quand j’avais la chance de connaître des étudiants aussi brillants que Nicolas Rouly et Edouard Philippe, je tentais d’enseigner à Sciences Po que l’indépendance des élus en France n’avait pas d’existence constitutionnelle, mais qu’elle reposait sur un statut coutumier en forme de triptyque : immunité, incompatibilité, indemnité.

Immunité, parce que dans une campagne ou devant une assemblée, on peut, selon nos traditions, malmener son adversaire avec une certaine vigueur surtout s’il est majoritaire. Ce n’est pas très agréable, mais, en contrepartie, nous avons la certitude que le pouvoir, tout pouvoir national ou local, n’essayera pas de museler son opposition. Vous l’avez accepté, à une ou deux phrases un peu liberticides près de ce règlement.

Incompatibilité, parce que en régime de séparation verticale des pouvoirs, on ne peut être à la fois ministre et député, juge et sénateur, et qu’en régime de décentralisation ou de séparation horizontale, on ne peut être à la fois parlementaire et président de région, comme l’ont indiqué les nouveaux présidents d’Ile-de-France et du Nord-Pas-de-Calais, mais il semble qu’il y ait en la matière – au moins jusqu’en 2017 – une exception régalienne pour les anciens et les actuels ministres de la défense.

J’en viens au pilier essentiel. Indemnités pour éviter une république censitaire où seuls les plus riches pourraient se présenter, une république parcellaire où ne seraient élus que les retraités et les rentiers, une république inégalitaire où les représentants des électeurs verraient leur sort privilégié s’ils sont éleveurs de chevaux ou, y compris dans des entreprise de luxe, cadres dirigeants, le niveau de l’indemnité permet, financièrement, de recréer de l’équité et, sociologiquement, d’intégrer dans la vie politique davantage de jeunes, de femmes, d’ouvriers, d’employés, de Français issus de l’immigration. La décision que nous prenons nous engage, mais elle engagera également, pardon d’évoquer cette horrible perspective, nos successeurs, citoyens qu’il ne faudrait pas dissuader, dans le futur, d’être candidats à raison de la barrière de l’argent. J’ajoute, mais cela concerne l’extrême sud de la Loire, que les indemnités ont été aussi créées pour donner à la République des élus honnêtes, éloignés des tentations et insensibles aux pressions ce que résumait d’un aphorisme ce député de la IIIème République qui rappelait qu’un mandat « gratuit ce serait trop cher ».

Le danger de l’illisibilité, c’est que cette course à l’échalote, cette course à la baisse est une course sans fin. Ne nous trompons pas de combat. Nos priorités financières, c’est augmenter les moyens de la formation, des transports, de la culture. En revanche, la bonne indemnité, ce serait l’indemnité zéro. Quelle hypocrisie ! Dans le Vaucluse, savez-vous il y a une commune tenue par un parti qui ne cesse de vilipender le système et l’establishment, – il s’agit du Pontet – qui a la dimension de la mienne, la sociologie de la mienne, une prison de la même taille que la mienne, mais pas la couleur de la mienne. Le conseil municipal y a accordé au maire une indemnité de 3500 euros, quatre fois celle que je reçois, une carte bancaire, des frais et une superbe voiture de fonction. Qui a protesté contre cette décision qui ne permet guère d’avoir la tête haute et les mains propres ? Personne, parce que cette discussion est inaudible. Il faut donc l’organiser avec clarté et c’est ce matin votre responsabilité. M. Bay, je ne vous confierai pas mon portefeuille 30 secondes, alors la commission des finances…

Le troisième danger, c’est celui de l’insignifiance. Les budgets que nous voterons approcheront les 2 milliards d’euros. A qui feront nous sérieusement croire que nous apporterons le début d’une solution aux problèmes graves auxquels nous devons faire face en déplaçant moins d’un millième de nos ressources, un quart de lycée, quelques hectomètres de voie ferrée. Je sais bien qu’en supprimant le magazine de la région, nous économiserions 12 millions d’euros en six ans et, selon un mécanisme qui échappe aux quatre opérations mathématiques élémentaires, que cela susciterait 250 millions d’euros d’investissements, ce que je traduis, mais je n’ai pas d’information sur ce tour de magie, que nous pourrions emprunter une telle somme, puisque la situation financière dont vous héritez est exceptionnellement bonne et je m’en félicite, en en payant les intérêts sur cette diminution de l’information de nos concitoyens, mais en alourdissant notre dette du capital emprunté ce qui fait un peu cavalier, si ce n’est cavalerie.

Le quatrième danger, c’est celui de l’inefficacité économique. On nous dit que nous allons épargner de l’argent, mais chaque dépense doit être mise face à toutes les autres. En installant la région à Caen, ce que je ne veux pas contester aujourd’hui, le barycentre des indemnités kilométriques des élus va progresser puisque le plus grand nombre est originaire de Seine-Maritime et que, comme ceux de l’Eure, ils vont se déplacer plus souvent et plus loin, tandis que cela ne diminuera pas d’un centime les remboursements faits à ceux qui viennent du Calvados, de la Manche et de l’Orne.                  Vous-même, Monsieur le Président, au lieu de prendre modestement le Theor ou le métrobus pour aller à la préfecture distante d’un kilomètre pour un euro soixante ou d’y aller à pied ce qui est bon pour la santé, vous mobiliserez chauffeur, voiture, sandwich, carburant ce qui, sans parler des conséquences en termes d’émission des gaz à effets de serre, même pour faire un pied de nez à Laurent Fabius, aura un coût pour la collectivité.

Mais je conclue par l’essentiel. Vous aviez indiqué à plusieurs reprises et encore lors de notre séance inaugurale que vous alliez baisser les indemnités de vos collègues de 40% ce qui recueille une certaine popularité dans l’opinion normande. Le problème est que c’est faux. Vous confondez une non-dépense et une augmentation de recettes. Ces crédits n’existaient pas. Vous ne les créez pas. Je ne vois pas comptablement – c’est mon métier d’origine – où se trouve le début du commencement d’une économie.

On répliquera qu’il y a 15 vice-présidents contre 25 naguère pour les deux régions. Certes, mais leur traitement est largement compensé par un le recrutement d’un contractuel à la tête de la région entouré de sept DGA, contre deux autrefois, toute personne dont je respecte les compétences et n’ignore pas le sens du service public, mais que vous comptez d’après les éléments que vous avez fournis rémunérer, loger, défrayer et véhiculer. On trouvera bien quelques compensations à présenter, je n’en doute pas, mais c’est, dès le premier mois de vos fonctions, en termes de charge de fonctionnement et de structures, une véritable explosion.

Il reste une seule rémunération que je n’ai pas évoquée. Me pardonnerez-vous de le faire ? Je vous connais depuis longtemps. Au nom de la transparence, valeur que nous partageons tous ici, je l’espère. Il s’agit de la vôtre. Elle était réglementairement, dit-on, insusceptible d’augmentation et sa seule variation, pour concourir à ce plan d’économies un peu artificiel, un peu factice, était de la faire baisser. Vous y avez renoncé. Je ne veux certainement pas vous le reprocher, car vous êtes par le suffrage universel le Président de la Normandie que nous avons réunifiée et, comme beaucoup de ceux qui servent la Nation, vous auriez pu prétendre dans d’autres carrières à d’autres destins. Vous l’avez, à l’intérieur des frontières de la Grande Région, emporté dans l’Eure et je veux vous en féliciter. Votre légitimité est entière et votre tâche est immense. Il est juste que vous soyez pour cela attributaire d’une indemnité et même qu’elle échappe à la modulation pour absence. Je note simplement que ce n’est pas celle sur laquelle vous avez le plus insisté. Elle n’a pas baissé de 40 %. C’est humain. Néanmoins, un politicien touchant ses émoluments au début du siècle précédent avait déclaré que « son indignation n’avait d’égale que sa satisfaction ». Je ne voudrais pas que ce soit votre état d’esprit.

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress