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6 FEV 2014

Combien vous coûte votre maire ?

Les campagnes politiques sont des moments de partage et de joie. J’aime cette ambiance. La fraternité qui règne dans la liste, l’ambiance chaleureuse du local, les discussions à ne plus savoir qu’en dire, les moments de collage et de tractage, le porte à porte et, surtout, les réunions d’appartement (que je trouve plus utiles, plus approfondies, plus vraies que cette drôle de méthode qui consiste à frapper, le soir venu, au domicile de gens, fatigués ou en famille, pratique qui confine parfois au harcèlement et qui reste d’ordinaire réservée aux représentants de commerce, à la maréchaussée et aux témoins de Jéhovah) sont la première récompense d’un engagement politique.

Malheureusement, comme en toute chose, c’est le lot de notre condition humaine, il y a une contrepartie à ce côté positif. « The dark side of the force » dirait Obi Wan Kenobi. Le ying et le Yang professerait Boudha Sidharta. Et donc ? Donc vos adversaires, quand ils n’ont pas de structuration politique, quand ils sont un peu « chien fou », par inadvertance ou méchanceté, quand ils fédèrent des tendances opposées, disent ou écrivent vraiment n’importe quoi sur vous. Vous devenez le plus grand dénominateur commun de leur démarche. Flatteur, et encore, mais casse-pied. On se dit « c’est le jeu », que n’est pas très grave, que, comme disait ma grand-mère « ça leur passera avant que cela ne me reprenne ». Mais, parfois la malveillance dépasse certaines limites. Un SMS reçu ce matin sur mon téléphone personnel, dont un ami me dit qu’il relève « de la diffamation et de l’injure en cercle privé » et qui m’avait été envoyé par un de ceux qui se présentent contre l’équipe que nous formons, m’en a fait prendre conscience. Quand on n’a pas de projet, on attaque l’homme. C’est classique. Pour autant est-ce acceptable ? On en est presque triste, après en avoir été étonné, pour les gens honnêtes embrigadés dans cette aventure. Alors pour eux, pour eux d’abord, rétablissons quelques vérités.

Il paraîtrait que je coûte de l’argent à Val-de-Reuil ? On pourrait dire que je lui en rapporte. Quelques centaines de milliers d’Euros de mécénat pour le théâtre, la jeunesse, la politique de la ville chaque année, un million d’Euros de subventions supplémentaires que j’ai été chercher cet été dans les ministères, exercice que je renouvelle à chaque… exercice budgétaire, l’allégement de notre dette et puis, ce qui n’a pas de prix, la confiance des partenaires publics ou privés, entrepreneurs, promoteurs qui choisissent soudainement notre commune plutôt qu’une autre. Beaucoup d’aides, de coups de pouce, de soutiens, à nos associations, à nos jeunes, à nos clubs. Il m’est même arrivé, parmi d’autres menus services que je lui ai rendus,  de trouver un sponsor qui habillait la FFA. Mais ne nous occupons pas de cela et ne comparons surtout pas une bonne et une mauvaise gestion de peur de froisser quelques susceptibilités. Venons-en à ce que « je » dépense.

Je ne me déplace pas qu’à pied ou en vélo, quoique je devrais me dit notre adjoint vert préféré François Merle. Je ne suis en cela pas différent des autres. Je suis contre le CO2, mais mon pot d’échappement en produit. Disons-le tout de suite. De la mairie, j’ai évidemment refusé une carte bleue et une carte d’essence. Je ne doute pas que tout le monde aurait fait de même. Voyons le volet mobilité. J’ai roulé pendant dix ans dans la 306 bleue de mon prédécesseur qui ne l’a pas gardé autant. Elle était devenue dangereuse (très dangereuse), mais je ne voulais pas dépenser un sou d’argent public pour moi. Quand il a fallu inclure la « voiture du Maire » pour faire baisser le coût du marché du parc automobile de la commune, voici trois ans, j’ai accepté en maugréant de changer de véhicule et je conduis désormais une Renault (j’y ai tenu, nous sommes en Normandie) Mégane Diesel sans options. C’est un break pour qu’elle puisse aussi servir aux transports de la Mairie. Il est hors de question pour le Maire d’une commune aussi endettée que la nôtre de s’offrir aux frais de la princesse une voiture étrangère, une voiture haut de gamme ou de forte cylindrée, de changer de voiture chaque année. Je n’ai évidemment jamais utilisée cette auto pour des raisons personnelles et, encore moins, en vacances. Cela ne correspond pas à ce que je pense être l’éthique d’un élu. A titre privé, j’ai un espace sept places, naturellement Renault, naturellement 27, acheté voici dix ans. Il a remplacé le Voyager Chrysler que j’ai donné au club de Canoë Kayak. J’ajoute que, par chance, mon employeur me fournit une voiture (qui pourrait être allemande, sportive, métallisée, bref fabriquée ailleurs qu’en France, ce que je refuse). Cela durera ce que cela durera. Je ne la vole pas. Elle doit être immatriculée à mon domicile puisqu’elle m’y raccompagne et est, donc, ceci étant vérifié par la société qui m’emploie, immatriculée dans l’Eure. Pas de Safrane, pas de Renault 25, même si on m’a dit que cela a existé. Comme beaucoup j’ai commencé dans une deux chevaux d’occasion qui a brulé en Algérie, quand j’y étais diplomate, à la suite d’une révision hasardeuse et j’ai poursuivi sur la route des Ferrari par une 205.

Côté télécommunications ? J’ai un téléphone mobile payé par la mairie, là aussi c’est dans le marché, mais je ne m’en sers pas et il reste déchargé sur mon bureau. Ne faisons pas semblant : c’est un Iphone et je ne suis pas un virtuose de cette technologie, alors mon blackberry, qui me suit depuis quinze ans, jusqu’à ce que cela n’existe plus, m’ira très bien. Je me suis offert sur mes deniers personnels voici quatre ans un ordinateur portable Apple, parce que je trouvais que c‘était plus pratique et plus efficace (la région aussi est désormais aussi sur Apple), mais la marque californienne n’était pas notre fournisseur et c’est pourquoi j’ai laissé mon écot à la FNAC. Au chapitre High Tech, en deux mandats, je ne vois rien d’autre…

On chuchote que je serais meublé de neuf. Si ce qui est neuf est ce qui est a été acheté en 2001, c’est vrai. J’étais gêné, en effet, de ne pas vouloir des meubles de mon prédécesseur, mais j’ai le souvenir, au milieu de piles de papier sympathiques, d’un grand bureau « Ministre », comme on dit, et de seulement deux fauteuils « visiteurs », très en contrebas (je m’y étais assis). Il manquait aussi une salle de réunion ce qui a parfois été interprété comme un goût pour les instructions directes et une certaine centralisation autour du Maire de l’époque. Je ne sais pas. Je n’y étais pas. Comment ai-je fait ? Très simplement. Avec mon ami Patrick Huon, nous avons été faire les soldes chez Ikéa et, là, j’ai tout acheté, étagères, plateau, lampes, retour de bureau, en bois blanc, à prix sacrifiés. Au passage, on s’est fait avoir, comme toujours, et j’ai transformé une table de salle à manger, qui elle n’était pas bradée, en bureau, ce qui m’a couté une fortune. Pour s’asseoir, on a d’abord pris des chaises d’occasion, puis, dix ans après, j’en ai acheté dix dans une vente en gros, dont quatre ont pris, vers différents étages de l’Hôtel de Ville, un autre chemin -définitif ?- que celui de mon bureau. Grâce à l’entreprise dont je suis salarié, au moment où elle a déménagé, voici dix ou douze ans, nous avons également récupéré quelques ensembles qui ont équipé des salles de professeurs, des services, des associations, le CCAS, mais aussi mon entrée et la salle du conseil municipal.

Il arrive que l’on dise que la pièce dans laquelle je travaille est un musée. C’est un bien grand mot. Au mur, les agrégations de mes grands parents, des dépôts du FRAC qu’il faut rendre régulièrement, les maquettes des murs pignons de la Ville qui appartiennent aux habitants, des photos (une d’Obama que m’avait donné le staff du Président US, mais aussi nos héros Gomis, Neth, Benhari, Le Fur…), des lettres, dont une de Hollande, la Rose au poing de Mitterrand dédicacé à mon père, une photo de ma mère morte quand j’imaginais qu’elle pourrait rejoindre l’Espages, qui adorait la Ville et que je n’ai pas assez vu vieillir, des grigris, ma collection de médailles de fonctionnaire (le régiment de ceci, le service de cela…, j’adore), un tableau de Kerguillec que j’ai acquis et que j’aime beaucoup (Kerguillec et le tableau, les deux), un couple enlacé dans un bloc d’onyx que Bernard Amsalem gardait près de lui et que j’aime beaucoup (Bernard et le couple de pierre, les deux), souvenir des expositions de sculptures contemporaines du Vaudreuil Ville Nouvelle, un bus transdev, des cadeaux, ceux de ma femme auxquels je tiens (aux cadeaux et à ma femme, les deux), le prix d’équitation du jumping, les blocs de résine aux armes des entreprises rolivaloises, un trophée du sport, ou des petits animaux comme ceux que Jean-Charles Houel me donna, beaucoup de témoignages de reconnaissance dans tous les coins et, qui dit mieux, l’intégralité de la moquette obtenue aux fins de série Saint Maclou pour l’équivalent de 70€ il y a 13 ans.  Bref rien de dispendieux.  Ah si, une fois un farceur (resté inconnu, à qui j’avais oublié de dire que, au rayon des blagues idiotes j’avais déjà fait l’armée, m’avait caché un soutien gorge XXL entre deux livres et c’est ma belle-mère qui l’a trouvé. Cela a failli me coûter. Deux petits compléments à cet inventaire :  les meubles de la campagne 2001 sont devenus la salle de réunion de la mairie et ceux de la campagne 2007 ont été donnés au SIEM (ils étaient très chics) pour faire des économies. Ceux de 2014 remplaceront les fauteuils épuisés d’une salle des professeurs. C’est déjà décidé.

Mais c’est un ogre, diront certains, et ce qu’il mange nous coûte un bras, voire les deux. C’est vrai que j’ai grossi en mairie (je ne suis pas le seul). Mais je rassure ceux qui pensent que j’enlève le pain de la bouche des enfants (même si nous avons fait baisser les tarifs d’Eurest) pour remplir mon estomac, je ne fais aucune note de frais et, de manière générale, règle mes repas « de travail » y compris avec des collègues ou des collaborateurs. Comme tout le monde j’aurais de toutes façons déjeuné ou dîné et je ne vois pas pourquoi cela me serait payé. Ces repas, je demande de ne pas les situer ailleurs qu’à Val-de-Reuil. Je peux en famille ou avec des amis aller à Louviers, Acquigny ou aux Damps, mais en représentation, comme on dit, c’est à Val-de-Reuil que je dois être. C’est aussi une manière de faire marcher le commerce. Je ne me vois pas aller prendre un café au Vaudreuil ou Place Thorel sauf exception pour en saluer les patrons. Quand mes filles étaient petites, nous allions le dimanche, aux clouets, au « mac’do de papa » comme elles surnommaient celui dont elles savaient que j’avais négocié la venue. A l’étranger, j’essaye de soulager les finances communales en prenant sans doute plus que ma part lorsque le programme devient touristique (en Pologne ou en Allemagne, il y a toujours un après-midi sur la Baltique) ou que je considère que les prix sont trop élevés pour un élu républicain. De manière normale, l’amitié vient jouer son rôle. Quand Suzanne Geils, la maire de Ritterhude vient chez nous, elle est pour partie mon invitée parce qu’elle est devenue une vraie amie. Les convictions politiques aussi ont un prix. Aussi je ne laisse personne payer les hôtels, parfois croquignolets, dans lesquels de congrès en congrès, ma fidélité de 30 ans et plus au parti socialiste m’entraine. On ne fait pas payer ses cotisations de militants par une collectivité dont tous les habitants ne partagent pas vos idées.  Une seule règle sert de fondation à tout cet édifice : quand, rarement, je considère qu’une dépense est liée par obligation au fait d’être maire, à l’exercice du mandat, je demande à la mairie de la régler parce que je me dis que mes successeurs seront ans le même cas et que ce serait presque malhonnête de ne pas dire à la collectivité ce qu’elle doit.

Reste le cas épineux de mon indemnité. Comme les impôts, nous ne l’avons pas augmentée depuis treize ans. Elle est de 1500 euros. C’est beaucoup. Surtout quand on est le premier magistrat d’une ville pauvre qui depuis trop longtemps nourrit les banquiers. Même si ce n’est pas de ma faute et que je suis plutôt le maire qui a remboursé quitte à différer des investissements auxquels je tenais comme la salle des fêtes. On se demande comment elle serait si nous n’avions pas épargné 30 millions d’Euros (30 !) pour nous désendetter. 1500 euros, ce pourrait être moins, mais les neuf autres conseillers qui bénéficient d’une allocation, qui va de 600 à 800 euros, pour un travail compliqué, pas toujours récompensé, prenant et auquel ils sont dévoués la verraient baisser si le maire y renonçait, cela même si j’ai choisi un mode de calcul qui me fait remettre au pot commun une partie de la somme que je devrais percevoir. Solidarité ordonnée commence par soi-même. Vingt fois, mon équipe m’a dit qu’elle était d’accord pour ne plus rien se voir verser. Il n’en est pas question. Ce serait immoral. Fabius, qui reste mon mentor, autre tare pour mes commensaux, citait volontiers cette phrase d’un parlementaire de la IIIème République à propos du salaire des membres du Gouvernement : « gratuit c’est trop cher ».

Alors j’ai trouvé un autre système. Je vais vous faire une confidence que je n’ai jamais faite. Je regrette qu’on m’y oblige. Avec cet argent qui est celui de la Ville, j’essaye d’aider tel ou tel, que je connais, que je ne connais pas, parfois en étant dupé, souvent en ne me trompant pas. Discrètement, nul ne le sait. Même les bénéficiaires ce qui est une question d’indépendance et de dignité. En ce moment une jeune fille, suivie par le CCAS, fait son stage de fin d’études, loin de notre pays, avec ce que décembre et janvier m’ont valu. En novembre deux grands-mères qui ne pouvaient faire de cadeaux à leurs petits-enfants et à qui j’ai dit que c’était la Ville qui leur donnait un coup de main, mais qu’il ne fallait le dire à personne. Je me rappelle avoir réglé des frais d’obsèques, dépanné des collègues face à un sale coup de la vie, pris la facture d’une vidange, envoyé des étudiants faire un rallye, réglé l’ardoise d’un gars qui me détestait et me déteste toujours. Je mourrai avec les détails de ces histoires qui m’appartiennent. C’est un système mal foutu. Je le reconnais bien volontiers. Cela n’a ni queue ni tête, mais c’est ce que j’ai trouvé pour être en paix avec moi-même. Je n’accepte naturellement aucun cadeau. Sauf ce qui se boit et ce qui se mange disait Pierre Joxe qui fut trésorier du PS avant moi. Je suis d’une honnêteté qui, paraît-il, fait rire tant elle confine à la naïveté ou à la bêtise. Mais je suis très fier qu’elle soit, je le crois, générale chez nos élus et nos fonctionnaires. Parce que la probité est une maladie contagieuse et qu’elle se propage aussi vite que la corruption. Regardons cela de plus près.  En 5000 jours, je suis allé trois fois voir un match de Rugby avec Spie (parce que j’aimais bien l’équipe qui travaillait avec nos techniques et qu’il n’y avait pas de troisième mi-temps), deux fois une pièce de théâtre (aucun souvenir mais une des pièces était absurde ou bien j’ai dormi…) et… une fois au Lido –avec mon épouse !- parce que, franchement, je voulais voir ce qu’était une invitation d’élu. Voilà. Aucun voyage d’agrément. Personne de ma famille ne travaille à la mairie. Même les enfants ont été animateurs ailleurs, ont trouvé des petits boulots ailleurs et je leur ai refusé le moindre contrat. On me voit leur signer chaque mois leur feuille de paye ? Impossible.

Mais je n’ai pas encore tout dit et je sais où on m’attend. J’aurais comme Léon Blum, que l’action française manqua de pendre pour cela, entre autres, à un réverbère du Boulevard Saint Germain, de la « vaisselle d’or ». Ce qui veut dire que j’ai un travail à côté et qu’il est bien rémunéré. Je ne l’ai pas toujours eu. Je l’ai dit cent fois. Je suis né d’une famille qui ne connaissait que la méritocratie républicaine. Mes grands-parents étaient professeurs ou employé à la banque de France. Mes parents des jeunes des trente glorieuses. Sans un sou. J’ai été pauvre à ma naissance, dans la plus terrible des « dèches », comme beaucoup, entre 15 et 25 ans. Avec ma sœur qui, vivant avec notre mère, a connu cela en même temps que moi, je peux faire pleurer avec des histoires d’huissiers, de fioul qu’on ne pouvait pas payer, de plats qu’on mangeait pendant une semaine, de vêtements achetés aux puces… On s’étonne de mon amitié avec Jean-Claude Bourbault, l’adjoint à la culture, mais quand j’avais treize/quatorze ans, je servais dans les buvettes qu’il montait et j’avais un billet.

On dit aussi, comme si c’était une insulte, que je suis énarque. Messieurs Pollet et Ramoune qui arrachaient mes affiches samedi soir étaient tout contents d’avoir trouvé ce mot pour me le jeter à la figure. Je ne sais si 36 mois d’études après cinq autres années de Sorbonne et de Sciences Po, peuvent caractériser un homme qui a aujourd’hui 55 ans. L’Ena, je l’ai passé parce que je voulais m’en sortir et que j’ai décidé, sur un coup de tête, d’en tenter le concours le jour où j’ai pointé à l’ANPE au retour du service militaire et où la guichetière m’a méprisé (orgueil, orgueil que nous fais-tu faire ?). Réussir cette épreuve m’a tiré d’affaire. Pourtant, j’ai passé mes examens en étant télexiste de nuit, en donnant trente heures de cours dans la semaine, en couvrant un toit, en transportant des bobines de films. Titre de gloire quand on travaille non loin de Dior, j’ai été l’employé de Boussac à 15 ans. Par la suite, j’ai refusé cent boulots pour être permanent du PS (et même son trésorier alors qu’il était en faillite). Mon entourage me croyait bon pour l’asile, mais a toujours respecté mes choix. J’en profite pour dire que pour 90% des gens, le fait que j’ai voulu être Maire de Val-de-Reuil est la preuve de graves déficiences mentales et pas l’illustration d’une ambition effrénée comme il se murmure sur les rives de l’Eure. Vraiment pas. Toujours par Don Quichottisme, j’ai suivi ceux en qui je croyais dans l’opposition ce qui ne nourrit pas son homme et refusé d’être le directeur de cabinet de Jospin dans sa marche vers Matignon. Il m’avait dit « tu apprendras à m’aimer » et j’avais trouvé cela complètement déplacé, ridicule, ce qui est dommage parce que aujourd’hui je me dis que j’aurais aimé travailler pour lui.

J’ai servi l’Etat vingt ans comme fonctionnaire ou magistrat. Le double de ce que je devais. Bref, je peux regarder tout le monde droit dans les yeux. Mais vraiment très droit. A 42 ans, je me suis dit que le vaillant petit soldat était un sacré égoïste qui emmenait 5 personnes avec lui dans son utopie. Je me suis forgé un autre système. Pas par obligation. Par volonté de changement. Une vie professionnelle dans laquelle j’étais libre de réussir, de m’épanouir, d’inventer et de créer. Je crois lui avoir donné beaucoup sous la direction d’un homme exigeant, dont je ne partage probablement pas toutes les opinions, mais qui est animé d’une énergie vitale incroyable. Intéressant. Une vie au service des autres de militant et d’élu. Cela répondait à plusieurs exigences que j’avais faites miennes. Si on se retrouve au nombre de ceux qui ne sont pas dans le besoin, on doit donner son temps à la collectivité qui vous a accompagné et formé. Quand je donnais des conférences à l’institut d’études politiques de Paris pour 250 francs de l’heure, je donnais les mêmes pour dix francs (moins qu’une femme de ménage) au centre national de la fonction publique en formation continue à des agents, des infirmières, des greffiers. Mais un mandat n’est pas un métier et une indemnité n’est pas un salaire. Il faut travailler 40 heures pour son employeur et 40 heures pour ses administrés, mais savoir s’oxygéner, ne pas rester en vase clos devant ses problèmes et ses dossiers. Ni d’un côté. Ni de l’autre. Le privé me ressource du public et vice versa. Sans le moindre vice. Cette stratégie personnelle m’a certainement coûté. Je sais que tandis que des esprits obtus m’imaginent rêver à Wall Street quand je préside le conseil municipal, là où je travaille il peut arriver que des collègues discernent en moi un dangereux révolutionnaire, un gauchiste, suffisamment déjanté pour conduire une commune et ses 16000 habitants, ne cesser de leur en parler et en faire sa passion quitte à voir passer sous son nez toutes les promotions. Je n’ai pas honte de cette construction à ceci près qu’elle comprime le temps familial et anéantit le temps personnel. Cela fait passer le cerveau d’un sujet à l’autre. J’en ai encore l’agilité. C’est même, j’en suis persuadé, une chance pour les deux collectivités. Bien sûr à Val-de-Reuil, il reste deux pelés et trois tondus qui pensent vraiment que l’entreprise et l’Ena (moi qui suis le moins énarque des énarques) m’ont formaté. Au travail, il y en a qui imaginent que je suis conditionné par ma commune et mon parti. Dans les deux cas, c’est stupide et intolérant. C’est comme cela. Deux précisions pour M. Lozé que j’apprécie, banquier et conseiller municipal de son état, qui, à ce double titre, pourrait être plus sérieux lorsque dans la dépêche il s’exprime. Oui mon compte en banque est à Val-de-Reuil. Pas le principal. Pas l’annexe. « Mon » compte en banque. A la Caisse d’épargne dont Bernard Amsalem m’avait présenté le directeur, M. Gozlan, en me demandant, je ne sais pourquoi, d’y ouvrir mon compte plutôt que dans une autre banque (comme je suis sournois, j’ai aussi 1000 euros sur un compte qui dorment au crédit agricole). C’est là où j’ai mes emprunts y compris celui pour la campagne (que j’ai eu du mal à obtenir). Là où va mon salaire. Toujours pour le même ex collègue qui après six ans dans notre équipe sera pour six semaines sur une autre liste, je paye bien sûr mes impôts à Val-de-Reuil, ce qui n’aurait aucune importance puisque ceux sur le revenu sont nationaux, élémentaire mon cher Watson, et que ce qui nous est reversé, comme Ville, au titre de la fiscalité locale, n’est pas pour autant tiré de la poche des Rolivalois. Ne faites pas une petite marque sur un billet de dix euros, vous ne le retrouveriez pas.

Un dernier mot sur ma femme puisque cela a aussi un lien avec l’argent. Elle n’est pas la fille d’un milliardaire ou bien alors elle me l’a caché. Quel est son statut ? A quoi est-elle obligée ? A rien. De ce point de vue en tout cas. Elle a les mêmes opinions, plus à Gauche sans doute que moi. Elle pourrait être UMP, PC, UDI, pas FN quand même, que cela n’y changerait rien. Elle n’est pas la 34ème du conseil municipal. Les enfants ont eu leur stand à la foire à tout sur lequel elle a veillé. Ils ont passé leur permis avec M. Boualem (que je remercie) et comme d’autres en forêt de Bord nous les avons entrainés avant l’épreuve à Louviers. Elle va au théâtre, est amie avec Boivin de Beau Geste et apprécie Verschuren de l’Ephéméride, discute avec les femmes du conseil davantage qu’avec les hommes, salue Mme Cascajares. Il lui arrive d’ « enterrer » ceux avec qui elle a partagé un moment. Rien de plus. Je connais la fille du puisatier, la femme du boulanger, la bonne du curé, mais pas l’épouse du maire. Il n’y a pas de first lady à Val-de-Reuil. Mon choix personnel n’engage pas celle qui vit avec moi depuis quarante ans. Nous sommes au XXème siècle. Je la remercie d’avoir décidé de participer au repas des anciens, aux fêtes de l’Espages, parce qu’elle pense comme moi que c’est un peu rendre ce que nous devons à nos propres grands-parents et peut-être, maintenant, à nos parents. Cela ne veut pas dire assister à chaque cérémonie, s’asseoir au premier rang du conseil municipal, arpenter la dalle. Elle a beaucoup fait et donné pour Val-de-Reuil. Elle a connu la Voie de Bas, quand chaque week-end nous étions réveillés en pleine nuit, par des bagarres de voisinages, et la beaucoup plus calme rue du Coteau. A elle, dont le père, bien avant sa majorité, a commencé à travailler dans une usine où travaillait son propre père, à elle qui n’était jamais monté sur des skis, on a dit un jour, au nom des mêmes inepties que celles que j’ai résumées ici : « la femme du maire, elle est toujours aux sports d’hiver à Gstaad ». C’était bête. Cela a fait mal. Elle a pris du recul. La semaine dernière, une candidate, qui se dit féministe, de la liste dissidente a dit « sa place, c’est à Simply derrière son caddy ». Les femmes apprécieront. Patricia Amsalem lui avait dit, le jour de mon élection, au bureau de vote, le dépouillement à peine finie, que de ce moment commencerait son malheur (sic). Cela nous avait froid dans le dos. Nous ne pensions pas qu’elle était si bien renseignée.

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress