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7 JUIN 2013

Les socialistes ont perdu leur beffroi : les militants pleurent Pierre MAUROY.

Il est des hommes politiques qui ont été l’histoire. Ils l’ont influencée. Ils l’ont façonnée. Ils l’ont écrite. Ils n’y ont pas participé. Ils l’ont faite. Ces êtres différents, on ne les pleure pas seuls. La douleur de les perdre se partage. Ultime solidarité. Elle dépasse les générations. Elle envahit les familles. Elle saisit un pays. Pierre Mauroy est de ceux-là. Par Laurent Fabius, depuis le Japon, nous avons eu la confirmation de sa mort. Depuis quelques jours, depuis son hospitalisation, elle était crainte. Elle était pressentie. Elle est arrivée. Sa voix de stentor ne résonnera plus dans les congrès commençant chaque discours par un « le socialisme, mes camarades » qui faisait sourire, s’émouvoir et réfléchir. Ses bras, comme les ailes d’un moulin du nord, n’effectueront plus ces incroyables moulinets autour de son corps gigantesque que ne parvenaient pas à enfermer des costumes croisés en gros drap de province. Ces lourdes mains ne s’abattront plus sur les tables de la cité Malesherbes et Solférino pour ponctuer une déclaration au bureau national. Ses grosses lunettes d’écaille ne cerneront plus ce regard où se lisaient la bonté, la volonté, la détermination. L’internationale socialiste a perdu un de ses hérauts.

Il était ce dont il venait. Patronage laïc, syndicalisme enseignant, socialisme du carreau de la mine et militantisme des préaux d’école, attaché à Lille et à une culture politique qui, au-delà de nos frontières, était celle de ses frères en convictions de Bruxelles, du Brabant et du Rhin. Pierre Mauroy, affaibli par la maladie, était encore un repère solide pour temps de disette idéologique et de crise économique, une boussole qui indiquait la Gauche, un vivant conservatoire des idées, des valeurs et des engagements qui ont fait nos combats. Ainsi que l’annonçait clairement son prénom, c’était un monument, une stature, une carrure. Sur ce Pierre, l’homme de 1981 avait bâti son gouvernement. On se souvient de leur remontée des champs Elysées, le President debout, Pierre Mauroy assis plus par loyauté et discipline que par modestie ou soumission. « Premier » Premier ministre de François Mitterrand, il lui appartint de « changer la vie ». Sur ce chemin, il ne trembla pas, il n’hésita pas. Il fut le chef d’orchestre sensible et compétent d’un grand musicien. L’abolition de la peine de mort, l’impôt sur les grandes fortunes, la cinquième semaine de congés payés, les 39 heures, les radios libres, la décentralisation. La partition était écrite, mais il modulait le tempo et voulut, entre rigueur et reforme, donner le la. Ces années de fondation reposèrent sur ses épaules avec la part d’ombre et d’injustice à laquelle souvent l’opinion condamne les titulaires de sa fonction. Il le prenait avec sa bonhommie habituelle. La vertu était chez lui fidélité, travail et courage. Professeur, maire d’une grande ville, brillant second ne revendiquant pas pour autant d’être numéro un, on l’avait donné en modèle à Jean-Marc Ayrault. Il était devenu un sage réactif.

Sa politique avait un sens, marqué par l’engagement catholique et social de sa mère, républicain et solidaire de son père, celui du progrès éducatif, garant de l’héritage de Léo Lagrange, de la justice sociale dédiée à tous et apprise à l’école du travail, celui du plein-emploi comme objectif premier parce que porteur des moyens d’un logement, d’une famille, d’une vie, horizon qu’il se reprochait de ne pas avoir atteint. Au-delà de sa sincérité et de son honnêteté foncières, les Français aimaient Pierre Mauroy parce qu’ils l’avaient vu pleurer. Pas au pouvoir. Au pouvoir, on est là pour tenir et se battre. Mais des années plus tard, bien après le pouvoir. Pleurer pour les mineurs dont la douleur le transperçait. Pour les sidérurgistes dont le nombre diminuait. Pour les ouvriers, dans les usines ou sur les chantiers navals qui fermaient. Lui l’enfant de Cartignies, lui l’enfant du Hainaut, le terrain de jeu de ses jeunes années était devenu le champ de bataille de sa maturité.

Avec Pierre Mauroy il fallait toujours militer et, parfois, se sacrifier. Pierre Mauroy militait déjà lorsqu’il engagea la SFIO, la vieille maison de ses anciens, dans l’union, à Epinay, aux côtés de François Mitterrand et de Jean-Pierre Chevènement, pour fonder la demeure nouvelle du socialisme français, permettant à la Gauche d’accéder au pouvoir moins de dix ans plus tard. Il militait encore lorsqu’en 1983, après avoir écrit les pages glorieuses de l’Etat de grâce, il économisa, pour le pays, convaincu, lorsqu’on y est contraint, que la rigueur, c’est le sérieux plus l’espoir. Il militait toujours lorsqu’il assuma les décisions, toutes les décisions, les faisant siennes puisque prises par son Gouvernement, même celles qui ne l’étaient peut-être pas.

Ce soir, nous pensons à sa famille, à ses proches, à tous nos camarades lillois, à Martine Aubry aussi, dont nous partageons la peine. Ce n’est pas un Parti socialiste, ce ne sont pas des socialistes qui sont en deuil. C’est le socialisme tout entier. Le socialisme municipal comme il l’a incarné à Lille pendant 28 années. Le socialisme bleu blanc rouge dont il fut le dirigeant de Matignon à Solferino. Le socialisme des cinq continents, réuni en internationale dont il était le Président.

Dans l’Eure, les militants, dans la salle des portraits de la fédération, regarderont demain Pierre Mauroy, le prendront à témoin, peut-être parfois de se feront juger par lui. Entre Jaurès et Mitterrand, il continuera de les fixer. Avec force et bienveillance. Comme ces beffrois qui, les protégeant et les surmontant règlent la marche tranquille et durable des villes du nord. Les Français pleureront l’homme d’Etat. Les socialistes ont perdu Pierre leur camarade.

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress