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7 FEV 2018

A l’initiative du Préfet de l’Eure, Thierry Coudert, et du DRAC, Jean-Paul Ollivier, se tenait hier soir au Théâtre de l’Arsenal, à Val-de-Reuil, une réunion sur l’avenir de la « culture et de la politique de la ville »

Réunion « Culture et Politique de la Ville »

Discours de M. Marc-Antoine JAMET, Maire de Val-de-Reuil.

Mardi 6 février 2018 – 18h00

Théâtre de l’Arsenal – Val-de-Reuil

 

Notre réunion est la bienvenue malgré la neige qui lui donne ce petit air tchékhovien. Est-ce un effet de mon grand âge, mais son intitulé tient pour moi du faire-part de deuil plus que de la promesse d’une renaissance. Il suffit de prendre les deux termes qui font l’intitulé de cette discussion : la Ville et la Politique.

La Ville ? Je me demande chaque jour davantage si, au temps de l’argent rare, des économies imposées, des coupes et des restrictions, la Ville est encore capable de donner une place à la culture, d’en faire une priorité, de la considérer comme un indicateur et un marqueur d’identité, de crédibilité, de légitimité ou de visibilité. Nous sommes dans un département où on ferme des collèges et où on diminue les crédits de l’action artistique, où le théâtre du chef-lieu depuis des années ne rouvre pas, où la scène nationale, de petit Cadran en grand Forum, joue dans des salles polyvalentes.

Je ne suis pas certain à l’heure de la « start-up nation », alors que professeurs et créateurs ont déserté les mouvements politiques pour laisser la place aux apparatchiks et aux chefs d’entreprise, tandis qu’une communication creuse et agressive règne en maître sur les réseaux sociaux, qu’un discours sur la culture existe lace en politique.

Les cinémas ferment. Les théâtres sont moins nombreux. La lecture recule. Les mécènes financent les expositions davantage que la réunion des musées nationaux. Les ministres ignorent tantôt le nom de Modiano, tantôt ce que doit être le service public de la télévision et de la radio. Quelqu’un, quelqu’un d’ici, connaît-il seulement le nom d’un parlementaire, d’un seul qui se préoccupe de cette question ?

Où est le grand projet ? Où est le grand dessein ? Où est le rêve ? France, mère des armes, des arts et des lois, tout cela est envolé. Les comparaisons sont cruelles tant on a du mal à trouver aujourd’hui l’équivalent de ce qui fût. On pense aux cathédrales édifiées par Malraux à Grenoble, à Bourges, à Saint-Etienne. On revoit Jacques Duhamel prêtant sa canne à Chaplin en clôture du festival de Cannes. On se souvient du travail de Michel Guy pour favoriser la musique et la danse. On songe à ce qu’a fait Jack Ralite à Aubervilliers avec le Théâtre de la Commune. On regrette, pourquoi ne pas le dire, Jack Lang, peut-être pas la fête permanente et tous grands travaux, mais certainement l’amour de l’intelligence et du beau au service d’un souverain qui aimerait les artistes et les livres.

Pardonnez ma mélancolie. Je suis né d’un père critique de théâtre, comme son père, et d’une mère comédienne au théâtre du soleil. La salle, chaque soir de la semaine, la scène le week-end, ont été le décor de mon enfance et de mon adolescence. Cela forge une conviction. La mienne est restée rudimentaire. Pour développer l’esprit critique, pour donner un sens à la citoyenneté, pour combattre la radicalisation, pour donner le goût de l’école, la culture est un rempart et un tremplin.

La présence du service public, qu’il soit éducatif ou culturel, est indispensable à la cohésion sociale, à l’intégration de toutes les populations, au développement du sentiment d’appartenance à une même communauté. La culture est un outil extraordinaire pour favoriser cette émancipation. Elle est encore plus indispensable dans une ville qui n’a que 40 ans. Elle est encore plus essentielle dans une commune qui compte près de 60 nationalités différentes.

La culture, c’est l’outil qui rassemble et qui unifie, c’est notre bagage fondamental contre le repli sur soi et la tentation du communautarisme. C’est ce qui permet de se découvrir et de s’accepter. C’est ce qui apprend à cultiver nos différences sans les redouter ou les appréhender.

Elle est un repère et un combat parce qu’elle permet à une communauté humaine de se reconnaitre en termes de valeurs, de pensées et d’engagements, de langue, de lieu et de vie, de pratiques, de traditions et de croyances, de vivre ensemble, d’imaginaire collectif, d’histoire et de mémoire. Elle est la patrie, elle est la nation, elle est le monde.

Elle évite les anachronismes et permet de rappeler que Louis XIV fût, en même temps, un grand roi et un épouvantable tyran, Napoléon 1er, un homme d’Etat et un boucher, tous les deux fort peu féministes et certainement parfaitement racistes, mais comme l’essentiel de leurs contemporains. Elle guérit des peurs et permet de commémorer Maurras en sachant qu’il fût un fieffé fasciste et d’éditer Céline en connaissant son abjection antisémite plutôt que de les cacher dans un placard.

A Val-de-Reuil, nous sommes partisans des additions et non des soustractions. Ici cohabitent un menhir, les murs pignons de Proweiller, Tomasello ou Cueco, et l’arbre de la liberté de Christian Zimmermann, la Compagnie Nationale de Danse Beau Geste, la Maison de la Poésie en Normandie, Le Théâtre de l’Arsenal, scène désormais conventionnée d’intérêt national grâce au soutien de la DRAC, Marie Nimier Prix Renaudot, le souvenir des tournages de Rohmer et l’ombre des Tréteaux de France.

Cette présence, unique dans notre département, ne suffit pas. Pour que les habitants de nos quartiers franchissent le pas, se rendent dans nos théâtres, inscrivent leurs enfants au conservatoire, s’initient à l’écriture et la lecture de la poésie, pénètrent dans nos salles obscures, il faut multiplier les actions en direction de la population. C’est ce que nous faisons.

En se rendant dans les classes de nos écoles, de nos collèges et de notre lycée, pour aller à la rencontre des élèves. C’est ce que fait notre Théâtre en construisant avec les enseignants des parcours de découverte et d’initiation à ses spectacles, c’est ce que fait notre conservatoire en développant la pratique de la musique et de la danse dès le plus jeune âge, c’est que fait la Factorie en s’associant à des classes de collèges sur des projets pédagogiques de très grande qualité. C’est ce que fait notre Cinéma en proposant, chaque été, à la nuit tombée, 30 soirées de cinéma populaire et engagé après avoir emmené pendant près d’un mois des centaines de jeunes à s’initier au maniement de la caméra. La culture passe par l’école et comme l’école, la réussite de son action, s’établit dans la proximité.

Nous le faisons également en accompagnant l’émergence de nos jeunes talents, grapheurs, slameurs, photographes, danseurs de hip-hop, musiciens ou chanteurs, en leur attribuant des lieux pour se développer, pour élaborer leurs projets, pour se faire connaitre et se mettre en scène comme notre ancien Théâtre des Chalands devenu Maison de la Jeunesse et des Associations ouverte le soir, le dimanche. J’ai entendu que l’Etat était prêt à nous accompagner dans cette démarche et je m’en réjouis.

Nous le faisons aussi en encourageant une culture diffuse qui s’adapte aux différents publics et s’établit hors les murs en soutenant, par exemple, l’initiative étonnante des Bourlingueurs, collectif d’artistes et d’artisans venus de toute la Normandie, qui, le temps d’un week-end, s’approprie l’Ile du Roy, la transforme, l’anime et donne à notre population un peu de leur énergie, de leur confiance et de leurs idées.

Nous le faisons enfin, et nous avons encore à le développer, en multipliant les partenariats et les associations. Je disais que nous avions la chance de compter à Val-de-Reuil sur le réseau d’acteurs culturels le plus riche et le plus dense de notre département. N’hésitons pas à croiser nos initiatives et à les rassembler. Lorsque nous le faisons, nous en voyons les réussites. Lorsque le Théâtre invite le Cinéma pour des Ciné-Débats, cela fonctionne. Lorsque le Conservatoire occupe notre Théâtre pour son Festival des Caméléons, c’est un succès. Lorsque la Compagnie Beau-Geste et l’Ephéméride accompagnent les Bourlingueurs, c’est un triomphe. Développons ces moments de partage. Allons plus loin encore. C’est le souhait que je voulais ce soir formuler.

A Val-de-Reuil, nous avons une exigence. Celle de proposer aux publics l’excellence. J’observe parfois, dans certaines communes, pas très éloignées de l’endroit où nous nous trouvons, une sorte de renoncement. Il faut accumuler les têtes d’affiche, se cantonner à un théâtre qui ne serait que pur divertissement. Je crois que c’est une erreur. Ne renouons pas avec ce qui fut il y a quelques années un échec. Les tournées Karsenty nous en ont montré les limites. Lorsque l’on prend la peine d’investir dans la culture, lorsqu’on construit des ponts entre le public et nos établissements culturels, les bénéfices n’en sont que plus grands. La confiance des partenaires ici présents en est peut-être le témoignage. Cela peut parfois sembler difficile. Cela peut paraitre risqué. Cela peut s’avérer long à porter ses fruits. Mais, lorsque l’on fait confiance aux acteurs culturels, qu’on leur donne les moyens d’exister et de se produire, le résultat est au rendez-vous.

La force des acteurs culturels, la place qu’ils occupent dans la ville, la liberté dont ils bénéficient pour se développer sont des atouts sur lesquels s’appuyer pour se transformer, se moderniser, attirer et se renouveler. C’est une des plus belles cartes à jouer pour accompagner et renforcer la mixité. Etat et collectivités doivent continuer à miser sur la culture lorsqu’ils réfléchissent à la future politique de la ville. S’il y a, ce soir, des exemples à suivre pour en bâtir les futurs fondements, nous serons heureux de les expérimenter.

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress