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21 JUIL 2017

Que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre (d’or) !

Le « dégagisme », idéologie à la mode chez ceux qui n’en ont pas, continuerait-il d’accomplir ses ravages ? « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». A ce Moloch, adepte du nettoyage par le vide, il faut chaque jour manifestement de nouvelles victimes. Après les prétendants à la Maison Blanche et la politique hexagonale, le monde de l’immobilier, notre monde donc, a semblé succomber à son tour à cette maladie de l’époque.

La scène se passe à Paris au début de l’été. On n’en dévoilera que les deux principaux protagonistes. Philippe Pelletier et Pascal Bonnefille, puisque ce sont eux, ont choisi d’inviter une vingtaine de professionnels, amis convaincus d’Immoweek, de ses pompes et de ses œuvres pour évoquer en petit comité le vingtième anniversaire des « Pierres d’Or ». Il s’agit pas tant, questions existentielles, de s’accorder sur le menu, les centres de table et le dress code de la soirée de Gala qui, à l’Opéra de Paris, en janvier 2018, marquera l’événement que de réfléchir collectivement, si tant est que cela soit possible, à l’avenir d’une cérémonie que, certes, les « Molière » et les « César » nous envient, mais dont la mise-en-scène n’a pas fondamentalement évolué depuis l’âge des cavernes. Je résume : la tribu reconnaissante récompense les plus forts, les plus malins, les plus costauds. Sous vos applaudissements… !

Effet de leur prudence habituelle, de leur expérience séculaire, nos deux sybarites ont veillé à se prémunir de tout débordement. La recette est simple. Pour éviter les dérapages, les aigreurs, les revendications, soignez le confort et les estomacs des participants. Ainsi le cadre de cette discussion n’est-il rien moins que leurs bureaux du « Cercle », thébaïde nichée, entre Palais-Bourbon, pour l’action, et La Madeleine, pour la méditation, au sommet d’un immeuble cossu de la rue Royale. Le café est chaud. Les nappes sont blanches. On sert aux plus affamés jus de fruits et viennoiseries. La canicule autorise même à tomber la veste. Même l’atmosphère que l’on respire est sous contrôle. Pour un peu on se croirait en vacances ou en journées de formation ce qui est à peu près équivalent. Qu’on se le dise : tout est réuni pour que la discussion se révèle, si ce n’est sérieuse, du moins fructueuse. Mais un caillou suffit parfois à faire dérailler les mécaniques les mieux huilées.

Autour de la table, l’un d’entre nous parmi les plus jeunes prend la parole. Certainement convié par mégarde à se symposium, il murmure effrayé de sa propre audace : « moi, je trouve que, les pierres d’or, ce sont toujours les mêmes qui les ont… ». Une exhorte à la laïcité en plein Vatican ne produirait pas pareil effet. Le silence tombe. Pesant. Profitant de la stupéfaction qui saisit l’assistance, l’audacieux soutenu par quelques camarades de sa génération, poursuit. Il en a assez de la dictature des gros, des gras, des grands, des puissants. Les mots de justice sociale et d’égalité des chances ne sont pas prononcés, mais on en n’est pas loin. C’est la révolution culturelle dans les m2. Dans peu de temps, la tête des patrons de foncières se promènera au bout d’une pique.

L’orateur, véritable Saint-Just, propose, pour remédier à une situation qu’il ne supporte plus, quelques réformes simples. Impossibilité d’obtenir un trophée dans une catégorie quand on est déjà nominé dans une autre. Interdiction de concourir quand on a déjà été primé l’année précédente. Limitation du nombre global des récompenses attribuées à une seule personne. Contingentement des voix des professionnels d’une même société afin d’éviter les votes groupés. Insulte mon grand âge, malgré mon ouïe devenue incertaine, je crois entendre qu’une date de naissance remontant au mitan du siècle précédent pourra être considérée comme un critère écartant toute nomination. La « Promotion Insoumise » ne propose pas de rebaptiser le trophée « les cailloux de calcaire », mais on n’en est pas loin.

Qu’on ne se méprenne pas. Moi aussi je trouve que le technologique, le numérique et l’écologique, malgré nos progrès accomplis, pourraient avoir une place plus importante dans nos choix. Moi aussi, je pense que les femmes, et notre profession en compte des dizaines dont le talent est exceptionnel, n’ont pas la place qui leur est due – la moitié au moins – dans nos palmarès d’un soir et parfois, dans nos jurys de l’année. Moi aussi, je crois que notre confrérie doit se renouveler et, en homme européen, de 60 ans, classiquement diplômé, je sais que d’autres profils font la réalité de notre pays.

Mais cela ne se fera pas par des règlements d’apothicaires ou des préconisations mieux adaptées à l’élection d’une rosière qu’à l’avènement de la démocratie immobilière. Non seulement je crois peu aux quotas et davantage à la raison, à la conscience et au bon sens, mais je soutiens qu’il m’aurait paru ubuesque de s’interdire de saluer le travail de Guillaume Poitrinal au prétexte que nous l’avions déjà fait, qu’il serait absurde de ne pas considérer ce que Unibail ou BNP Real Estate ont apporté à notre secteur, parce que l’agence immobilière indépendante de Val-de-Reuil (Eure), elle aussi, fait du bon travail, qu’il serait idiot de s’empêcher de saluer un projet ou une réalisation au prétexte que son financeur, son concepteur, son utilisateur ou son promoteur ont déjà été reconnus, qu’il serait nuisible de ne pas décerner à quelqu’un qui le mérite un titre dans une catégorie et – en même temps – un autre titre dans une autre s’il le mérite également car on peut être, par exemple, le meilleur « utilisateur » d’un immeuble mais aussi celui qui a su le mieux l’aménager ou en économiser l’énergie. Notre objectif est bien de distinguer les meilleurs. Pas de nous livrer à une redistribution artificielle des succès et des notoriétés.

Alors oui, comme toute chose, pour grandir sans vieillir, les Pierres d’Or doivent sans doute se transformer, de moderniser, évoluer. Mais non, ce n’est pas en ayant recours à la bien-pensance universelle, par une inondation de bons sentiments, que nos trophées évolueront, mais par les valeurs dont ils seront porteurs : l’excellence, l’exemplarité, l’exceptionnel. Et cela ne dépend pas d’un règlement dont la précision conduirait à l’immobilisme, mais de la force, de l’originalité, de la sincérité de nos votes. Je crois que je viens de m’interdire à jamais de recevoir une troisième pierre d’or. Tant pis, c’est dit. Tant mieux, il fallait que je le dise.

Marc-Antoine JAMET, Secrétaire Général et Directeur Immobilier du Groupe LVMH/Moët Hennessy – Louis Vuitton.

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