ACCUEIL | AGENDA | REVUE DE PRESSE | EQUIPE | CONTACT | MIEUX ME CONNAITRE | PHOTOS

22 OCT 2016

Comprendre pour entreprendre avec l’Afrique ! Je m’exprimais ce vendredi matin au Théâtre de l’Arsenal en ouverture du colloque « Entreprendre avec l’Afrique »

Ici, à Val-de-Reuil, dans ce beau Théâtre de l’Arsenal, comme Maire et parce que je serai, à ce titre, votre hôte pour l’essentiel de ce colloque, l’honneur et le bonheur m’appartiennent de vous souhaiter la bienvenue. Notre commune, plus jeune de France, est une ville multiculturelle, une ville du vivre-ensemble, une ville qui, habitants, énergie, solidarités et fêtes, doit beaucoup à l’Afrique. Il est, dit-on, du côté de Pretoria et de Jo’burg, des Nations « arc-en-ciel ». Il est aussi, plus près de nous, en Normandie, au bord de l’Eure, des communes qui ne sont pas moins bigarrées et tirent la même fierté de leur métissage. La mienne accueille soixante-dix nationalités. Juste deux fois moins que le nombre des pays que rassemble l’Organisation des Nations Unies…

Je veux donc très chaleureusement remercier tous ceux, orateurs, organisateurs, auditeurs, qui  – étrangement – ont choisi, pour venir parler d’un continent immense qui s’étend des rives de la Méditerrannée aux brumes du Cap de Bonne Espérance, de monter sur cette scène et de s’emparer d’un micro, non pas à Paris ou à Rouen, bourgades d’une certaine importance, mais à Heudebouville, à Louviers et à Val-de-Reuil unies pour les accueillir.

Certes, pour nous consoler, nous nous répétons que « small is beautiful », mais il y a là comme un mystère. Sa résolution est simple : elle tient à la générosité et au dévouement des hommes. Je pense notamment à tous les intervenants qui se sont mobilisés ce matin. Ce serait faire injure à notre édition 2015 que de dire qu’ils sont, en 2016, encore plus nombreux, plus qualifiés, plus diversifiés dans leurs origines et leur parcours. Cela serait d’autant plus indélicat que, comme l’ancien Premier Ministre de Guinée M. Kabiné Komara, aujourd’hui Président du comité d’organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal, qui préside avec le mélange d’autorité et de sagacité qui lui est propre notre table-ronde introductive et que je salue respectueusement, comme moi-même, plusieurs de ceux qui vont parler ce matin, font partie des revenants de la première saison. Il n’empêche qu’il semble certain que, en une année ; que notre taux d’audience a augmenté. Nous le devons probablement à la présence de Xavier Belin, le président de la FNSEA, et à Clothilde Eudier, ma collègue du conseil régional de Normandie en charge de l’agriculture que Bernard Leroy, le regard souvent tourné vers Caen, n’a pas manqué, avec raison, d’inviter.

J’ai parlé de « mystère ». J’aurais pu dire « challenge ». Car après le temps des fondations, vient celui des confirmations. Rééditer un succès n’est jamais facile. Il faut, au service de l’Afrique, un engagement de tous les instants et une inébranlable volonté. Elle peut souvent enthousiasmer. Elle peut parfois décourager. Cette implication, cet investissement, s’incarnent en un couple qui a su parfaitement inventer et réinventer ces rencontres. Je veux évidemment me tourner vers Hubert et Thérèse Zoutu qui méritent vos applaudissements. Quand bien même me dirait-on qu’ils ont quelques attaches secrètes, invisibles, insoupçonnées, avec le Bénin, explication première de leur passion, il faut s’incliner devant leur abnégation et leur altruisme. Dans un certain parti politique qui traverse aujourd’hui des vents contraires, on aurait à leur endroit osé prononcer le mot d’internationalisme et il ne l’aurait peut-être pas rejeté, mais, trêve de philosophie militante, je ne veux choquer aucun de ceux qui, sans repos ni relâche, courent déjà les estrades en vue des prochaines élections. Sur la route de Louviers, j’en vois qui s’efforcent de faire prospérer leur petit commerce. Ne les déstabilisons pas.

Même si Thérèse et Hubert ne sont plus des enfants, il leur fallait pour réaliser leur rêve, qu’on pourrait facilement qualifier de miracle, une bonne fée et un parrain. Celle qui a tenu la  baguette magique, c’est Sabine Renault-Sablonière. Elle a travaillé une année entière, nous bombardant d’emails à tout instant du jour et de la nuit, pour qu’adviennent ces 48 heures d’échanges et de débats. Il faut vraiment l’en féliciter. L’enchanteur, c’est mon ami Jean-Hervé Lorenzi, allié fidèle de cette Ville dont il a participé à plusieurs reprises, par ses conférences ô combien savantes, à l’éducation des lycéens. En guise de sortilèges, il nous a apporté ses réseaux, sa diplomatie, son expertise et la confiance que, par son élégance et son intelligence, il dégage. Il a donné sa caution, purement intellectuelle, rassurez vous, même s’il est un des piliers du Groupe Edmond de Rothschild, et elle était indispensable à la légitimité de cet événement. Par sa seule présence, il nous assigne un objectif : faire aussi bien que les rencontres du cercle des économistes qu’il anime chaque année, au début de l’été, à Aix-en-Provence et dépasser celles de Singapour qu’il est en train de créer en Asie. C’est effectivement le seul mal que nous nous souhaitons.

Permettez-moi d’aller dans cette introduction au-delà du mot d’accueil que, dans une saine utilisation des compétences et des connaissances, vous m’aviez aimablement réservé et d’y ajouter quelques remarques générales nées de mon amour pour cette partie du monde et du travail que j’y ai accompli pour la Cour des comptes comme contrôleur des fonds de coopération.

Première remarque. L’Afrique n’est pas un pays. C’est un continent. La différence n’est pas mince. Notre communauté de destins ne s’inscrit donc pas (ou pas uniquement) dans la relation d’une poignée de capitales avec Paris, dans une histoire politique figée, dans un  passé perpétuellement ressassé, ce qui est bien commode pour protester et revendiquer, mais commence à devenir inutile, presque ridicule, pour réfléchir et travailler. Le temps des indépendances est loin derrière nous. Il n’y a plus de grande tâche rose sur la mappemonde Vidal-Lablache. Tournons la page dans la reconnaissance de nos erreurs et, parfois pour notre part, de nos fautes. Mais cessons de bégayer pour chanter ou blâmer les siècles anciens. Cette approche a d’ailleurs toujours été réductrice. Quel intérêt peut-il y avoir à laisser paternalisme, d’un côté, et rancune, de l’autre, se regarder stupidement en chiens de faïence. Il y a sans doute mieux à faire que l’apologie ou la dénonciation des empires coloniaux. Ils ont été. La France a pu apporter dans cette relation viciée ses forces et sa richesse. Les contingents africains, par deux fois, ont versé leur sang pour la libérer d’un envahisseur voisin. Une comptabilité des bienfaits et des errements serait macabre.

Notre vrai lien réside dans une proximité géographique évidente, dans des objectifs militaires similaires, dans une solidarité économique nécessaire, réalités que de bons esprits s’acharnent à nier, que ne suffisent pas à décrire, mais dont témoignent symboliquement le drame atroce, le calvaire de ces migrants dont l’exil est un enfer, le quotidien libyen un esclavage et la mer un cimetière. Leur fuite éperdue vers ce paradis européen, que forment la Jungle de Calais, les barbelés tendus par la Hongrie et les pays de l’ex-Yougoslavie, les camps de rétention des iles grecques ou italiennes, est également une des conséquences de l’insuffisant développement agricole du continent africain. Je l’affirme : la non attractivité, l’absence de formation, de financements et d’emplois, alors que parfois la croissance est là, est aussi un des aspects de la question que vous vous posez ce matin. C’est aussi un des explications de l’impossibilité qu’a l’Afrique de nourrir ses enfants. Ne restons donc pas dans des considérations technocratiques et prenons le risque de discuter en humains.

Seconde remarque. Il est bien de parler d’agriculture et d’alimentation. C’est fondamental. Comment vivre sans manger ? Mais la vraie donnée de référence aux discussions de notre matinée, surtout si l’agriculture demeure pour l’Afrique un moteur de croissance, c’est la mondialisation climatique et environnementale. Elle est le socle de nos propositions céréalières ou numériques. Ce n’est pas un hasard si, dans le prolongement de la COP 21, ce succès que l’on doit à François Hollande, à Laurent Fabius et à Ségolène Royal, la 22ème conférence mondiale sur le climat s’ouvrira à Marrakech. C’est en Afrique, plus qu’en Chine et en Inde, que l’on mesurera les premières retombées du volume colossal de CO2 émis par les voitures de Pékin et Dehli. Deux degrés de plus et ce sont 15% des terres arables qui disparaîtront de la surface du plus vieux des continents. Entre agriculture et environnement, le lien pour l’Afrique s’appelle agro-écologie et agro-foresterie.

Troisième remarque. Aucun de nous, probablement, ne deviendra le moderne équivalent de Rimbaud en Abyssinie. Pas certain que l’enfant poète devenu simple trafiquant ait compris la beauté de ce qui l’entourait. Mais pour parler de l’Afrique et encore plus pour y entreprendre, il ne suffit pas d’y voyager et, de délégation en délégation, de s’y promener de mission en mission, d’y passer quelques séjours biannuels dans des hôtels climatisés, fût-ce depuis 50 ans. Il faut la comprendre. Il faut s’en éprendre. Il faut la connaître c’est-à-dire l’aimer et la respecter. Il faut la parcourir et la rencontrer. Il faut s’y perdre et s’y retrouver. Croix du Sud ou Voie Lactée, c’est dans son ciel qu’on voit le mieux les étoiles. C’est dans son sol qu’on découvre Lucy et l’enfance de l’humanité. L’Afrique est repère. L’Afrique est mesure. C’est pourquoi il faut apprendre l’Afrique, ses peuples, ses espoirs, ses cultures. Il faut en respirer le parfum qui, à Bamako, à Ouagadougou, à Dakar vous saisit à la descente de l’avion. Il faut attendre la nuit qui tombe brièvement dans un maquis de Bangui, de Kinshasa ou de Nairobi. Il faut rouler « à la grâce de Dieu » entre Thiès et Saint-Louis, prendre le chemin de fer qui va de Djibouti à Dire-Dawa puis vers l’Ethiopie, longer la route des camions citernes entre Lomé et Yaoundé, suivre la « sahélienne » qui, d’aéroport en aéroport, traverse la savane tropicale de part en part, quittant l’Atlantique pour rejoindre l’Océan Indien, comme un bus aérien. Il faut voir un film au cinéma « Normandie » de N’Djamena, se promùener à La Marsa, dans les faubourgs de Carthage, jouer un match de football contre une équipe menée par Blaise Compaoré et Thomas Sankara encore amis, flâner à Gorée une 33 centilitres à la main. Il faut contempler les grands lacs au milieu de ce qui fût au Rwanda, au Burundi, un paysage bucolique quasi helvétique, gravir les premières pentes du Kilimandjaro, se promener le long de la plage à Durban. Il faut rêver à Tipasa, respirer un jasmin à Sidi-Bou-Saïd et déjeuner à Tanger. Il faut vénérer la couleur bleue avec les malgaches, admirer la finesse et la beauté des hommes et des femmes de Dar-es-Salam, rendre hommage au grand Mandela. C’est la chair de notre conversation qui, sans cela, serait si mécanique, si technocratique.

Quatrième remarque. La question de l’alimentation est en fait celle de l’eau, celle du stress hydrique, celle de l’irrégularité, de la réduction et de l’insuffisance des pluies. La CASE le sait qui, en la matière, a monté des projets de coopération avec Veolia. Si 60% des terres arables ne sont pas encore cultivées en Afrique, leur exploitation soudaine peut faire naître un nouveau problème. En effet, le besoin en eau que la fin de la jachère exigerait est bien plus important que ce que peuvent fournir les ressources naturelles hydriques. La nappe phréatique n’y suffira pas. Les précipitations non plus. Les réserves, fleuves ou lacs, encore moins.

Cinquième remarque. Dans la situation que vit aujourd’hui l’Afrique, tout n’est pas facile, tout n’est pas évident. Nous ne pouvons palabrer doctement sur nos chaises sans nous apercevoir et reconnaître que beaucoup de choses, positives, qui avaient été prédites, ne se sont pas produites. Il y a eu un catastrophisme africain teinté en occident de compassion. Il ne faudrait pas qu’il y ait demain un angélisme africain matinée d’indifférence. La vérité est dure. Il n’y a pas eu de fin des conflits et d’émergence généralisée de la stabilité politique en Afrique. La spoliation et la surexploitation économique du continent par des tiers n’ont pas cessé. Au contraire, des puissances gigantesques se sont mises à y participer. Que l’on songe à l’extraction des terres rares… La stabilisation démographique de l’Afrique est encore à venir. Les classes moyennes se sont moins développées qu’on ne le croyait. En 2050, la population du continent aura doublée. Elle atteindra 4 milliards d’habitants, soit ¼ de la population mondiale, deux fois la Chine ou la Chine et l’Inde réunies. Comment faire vivre, nourrir, former tant de nouveaux habitants dont la moitié auront moins de 25 ans ? Résoudre la question alimentaire est fondamental. Parler du numérique est certainement prioritaire. Mais ces deux réponses ne couvriront pas toutes les questions qui se posent à la mère des continents. Regardons par exemple les efforts de productivité que l’Afrique qui cultive 15% des terres arables et ne produit que 5% des volumes de ressources agricoles doit encore consentir, le manque de capacité énergétiques qui entraîne la pénurie en électricité contre laquelle veut lutter Jean-Louis Borloo, ou bien son sous équipement en matière de transports pour répartir semences et produits.

Alors, oui, vous avez raison de vous réunir au nom de l’amitié entre la France et l’Afrique, ou plutôt car, de Jacques Foccart à Claude Guéant en passant par Jean-Christophe Mitterrand,  l’expression a fini par être un peu connotée, entre l’Eure et l’Afrique. Oui réfléchissez au nom d’une libre circulation entre les continents régulée loin des populismes haineux et stériles au bénéfice de la famille et de son regroupement, de l’investissement (de la France en Afrique et de l’Afrique en France car les deux courants existent), de l’université et du savoir. Oui, réfléchissez au nom de la créativité, de l’intelligence et de la jeunesse, au nom de l’innovation numérique qui peut transmettre des subventions sans la dîme de la corruption sur un smartphone, donner des indications météorologiques à un éleveur, fournir des didacticiels à un cultivateur, du développement durable et de l’entreprise privée à ce que sera le futur de l’Afrique. Comme Président de la Cosmetic Valley, je ne peux que vous y engager tant je vois, notamment dans le domaine du développement industriel des savoir-faire traditionnels, ce qu’on appelle la cosmétopée, des pistes d’avenir, comme on en discerne également pour l’agriculture avec les réussites récentes de la mangue, du sésame, du karité, marchés à forte valeur ajoutée.

L’Afrique est un marché et une amie, une chance et une conscience, un avenir et un modèle. Mais n’oubliez jamais que c’est à l’Afrique d’inventer son propre chemin. Je vous remercie.

© 2011 Marc-Antoine Jamet , Tous droits réservés / Wordpress