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19 FEV 2016

Remise des insignes d’officier de la Légion d’Honneur par M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur – Hôtel de Beauvau – Mercredi 10 février 2016 – 19 heures

Remise des insignes d’officier de la Légion d’Honneur

par M. Bernard CAZENEUVE, Ministre de l’Intérieur

Hôtel de Beauvau – Mercredi 10 février 2016 – 19 heures

 

Monsieur le Ministre,

Madame et Messieurs les Ministres, chère Ségolène, cher Harlem, cher Alain,

Monsieur l’Ambassadeur Suzuki, représentant en France du Japon que nous aimons,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires et les élus,

Mesdames et Messieurs, chers amis,

Cher Bernard Cazeneuve, les mots que vous avez prononcés m’ont fait évidemment plaisir. Il eut été cependant plus prudent de les accompagner de l’avertissement qui, d’ordinaire, précède les films dont les producteurs craignent les procès : « Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite ».

Une seconde précaution eût été non moins nécessaire. Modeste élu local, il m’est impossible d’aligner deux phrases à un micro entre Gisors, Alençon, Deauville et Saint-Clair-sur-Epte sans que celui qui me succède prévienne l’auditoire qu’il est « bien difficile de prendre la parole après le Maire de Val-de-Reuil ». A la longue, cette sentence prononcée avec des sincérités, des utilités et des spontanéités variables, m’est devenue insupportable. C’est pourtant la seule qui me vient à l’esprit à cet instant précis. Quand il s’est exprimé, sans davantage de notes que de caillou dans la bouche, il est « bien difficile de prendre la parole après Bernard Cazeneuve ». Il y a du Clémenceau, du Jaurès et du Gambetta dans ce ministre-là ! Même privé de sa robe, on sent encore en lui l’avocat. Un ténor de barreau, un taureau du Palais, Gilles August ne me contredira pas.

Les conséquences de son éloquence sont dévastatrices. J’avais fignolé un discours. Il va paraître fade à côté de ses envolées. Au mardi-gras que nous fêtions joyeusement hier va succéder à la tribune le mercredi des cendres qui nous fait méditer tristement sur la vie. Même tarif, même liturgie, apprêtez-vous à vous ennuyer ferme après avoir tant ri. Je le sens bien Monsieur le Ministre : cet abondant public n’est venu que pour vous !

Je ne vous en remercie que davantage de nous consacrer un temps aussi considérable à la veille d’une opération de déchéance gouvernementale qui va créer quelques apatrides ministériels. Il est vrai qu’il est peu probable que le successeur de Gaston Defferre, de Paul Quilès, Pierre Joxe et Daniel Vaillant, (je passerai sous silence -ainsi que vous m’y avez fermement invité- le précédent Jules Moch), soit concerné. Bien qu’il vous soit arrivé, par le passé, de changer de portefeuille comme de chemise puisque, en trois ans vous aurez été européen, budgétaire et policier, fonctions essentielles à l’Etat, qualificatifs pas obligatoirement sympathiques pour l’opinion, il serait étrange que notre pays se prive d’un ministre dont le calme, la détermination et la compétence sont le premier rempart de notre sécurité.

Il n’empêche, cher Bernard, que ce portrait d’un homme paré de toutes les qualités (ou presque) brossé devant une assemblée subjuguée par ton éloquence anglo-normande, ton humour british, ton charme slave, ne cherchait pas la vérité. Voudrait-on une seule preuve de ce grossier travestissement ? Tu as noté avec ce que tu pensais être de la perspicacité que j’étais né à Saint-Mandé. En fait, mon berceau n’y est pas resté deux nuits avant de rejoindre Paris ! On voit, dès le début de ton propos, à quelles odieuses manipulations tu t’es livré sur ma personne alors qu’elle était à l’état vulnérable de nourrisson…

Tu revendiques des circonstances atténuantes. D’après ce que tu aurais déclaré lors de ta garde à vue, tu aurais puisé ton inspiration à deux sources également nobles, mais moins universelles : d’abord ta bienveillance et elle est grande à mon égard, ensuite le penchant quasi-professionnel que doit avoir le Ministre des Cultes pour la pratique de l’ésotérisme et la lecture des romans de science-fiction. Je ne suis, hélas, ni super, ni héros.

La République, tout en étant bonne fille, ne s’y est pas trompée. Si elle m’a attribué un peu d’honneur, sa Légion étant née un 19 mai comme moi, elle ne m’a jamais reconnu le moindre mérite à l’exception notable en raison de mes origines paysannes bien connues de celui, agricole, que valide le « poireau ». Ruban rouge oui, ruban bleu non. J’ai eu l’eau chaude. Pas l’eau froide. Mon revers est à moitié orphelin. Cette asymétrie aurait pu inquiéter ton cabinet. Mes fréquentations auraient dû être passées au peigne fin. Il n’en a rien été. Aucune assignation à résidence, ni bracelet électronique. Cette salle hétéroclite et coupable, forcément coupable, en témoigne. Seule Corinne Luquens, devant le Conseil Constitutionnel auquel elle vient d’être nommée, pourrait se porter garante de notre collectivité. Cela renforcerait encore la portée de sa présence parmi nous au premier soir de son mandat, mais ce geste altruiste en assombrirait irrémédiablement la suite. Qu’elle s’en exonère ! Je continue donc de tenir à ta disposition le nom des collaborateurs à l’origine de cette faille du renseignement intérieur dont tu pourrais utilement te séparer à l’exception de Gabriel Kunde, ton chef de cabinet, pour lequel je professe la plus grande amitié.

J’ajoute, plus sérieusement, que j’ai longtemps considéré que, seuls, pouvaient prétendre à cette distinction ceux qui, comme Hubert Ivanoff, que je salue, général de Légion Etrangère parfaitement recommandable puisque ne manifestant pas à Calais, ont pris la palmeraie de Faya-Largeau avec dix jeeps éreintées et emmené le 1er régiment étranger de cavalerie tremper, après Alexandre le Grand, ses étendards dans l‘Euphrate. Je n’ai commandé qu’un Groupement d’Instruction à Satory. Le front était assez loin.

Depuis un an, cette conviction n’a fait que se renforcer. L’hôtel de Beauvau y invite. Il y a à 10 mètres d’ici une petite pièce, un ancien fumoir. Il a été transformé depuis que notre Patrie est, de nouveau, frappé par des attentats en salle de crise. Là, on a pu entendre des noms dont bravoure et gloire sont l’écho. Le policier qui, le premier, se glisse sous le rideau de fer de l’hyper casher pour abattre Coulibaly ; le gendarme en patrouille qui blesse à la gorge un frère Kouachi ; le commissaire qui, seul avec son équipier de la BAC, neutralise un terroriste du Bataclan ; le fonctionnaire qui, une heure après, derrière un bouclier Ramsès, prendra la tête de la colonne d’assaut ou ceux qui mèneront le siège de Saint-Denis. Comme tous ceux qui travaillent sous ton commandement déterminé pour assurer notre sécurité, ce sont eux d’abord, ce sont eux surtout vers qui doit se diriger notre admiration.

Il est un nom que je veux ici particulièrement citer. Je m’en suis fait la promesse. C’est celui du commissaire de police de Val-de-Reuil : Arnaud Beldon. Visitant la commune de Normandie dont je suis le Maire, vous l’avez installé, Monsieur le Ministre, dans ses responsabilités. Le 13 novembre dernier, allant à un concert à Paris avec son amie, la commissaire de Deauville, une balle de Kalachnikov est venue briser son corps. Il n’a pas 40 ans. Il est à l’hôpital Percy. Pour lui, la convalescence sera longue et la vie difficile. Gravement blessé, il a  pourtant donné l’ordre à ceux qui l’entouraient de fuir et de le laisser. Qui peut se persuader qu’il aurait eu dans de pareilles circonstances une telle force d’âme ?

Je n’arrive pas à la cheville de ces hommes exceptionnels. Pourtant j’ai accepté cette distinction. Tout simplement parce qu’elle me remplissait de fierté et de joie et parce que, à ces émotions, se sont agrégés l’amitié, le souvenir, le respect.

D’abord l’amitié. Certains souhaiteraient-ils sont de moins en moins nombreux – que des ministres deviennent leurs amis. Il se trouve que plusieurs de mes amis – ils sont de plus en plus nombreux – sont devenus ministres. Jean-Vincent Placé est avec nous ce soir. Qui sait où il sera demain ?

J’ai vu ainsi Bernard Cazeneuve vivre la transfiguration gouvernementale, évangéliser le Parlement, gravir le chemin de croix des crises, monter au Golgotha des médias, sans cesser d’espérer la résurrection électorale, mais il l’a fait dans la foi à lui-même, à ses convictions, à sa personnalité.

Nous nous connaissons depuis 25 ans. Il est encore parmi nous alors que c’est en ce moment précis l’anniversaire de son fils. Ce n’est pas le moindre des sacrifices auxquels cette cérémonie le contraint. Nous aurions pu, dès l’origine, sur des choses essentielles, nous fâcher. Nous l’avons évité. Parce que c’était lui, parce que c’était moi. Il peut nous arriver d’être véhéments. Toujours sur des sujets importants ! Encore récemment, le Préfet de l’Eure, qui ignorait le fond de notre discussion, mais s’effrayait du tour et du ton qu’elle prenait, aurait pu y laisser casquette et épaulettes en nous voyant gesticuler et vitupérer dans son département. C’eut été injuste. René Bidal est humainement et professionnellement remarquable. Nous l’avons rassuré. Nous ne sommes jamais violents. Cela d’autant plus que la taille des gardes du corps qui entourent Bernard Cazeneuve ne peut qu’entraîner une adhésion spontanée à ses paroles et à ses actes. Monsieur le Ministre, vous serez toujours, sans préciser si j’y applique césure à l’hémistiche et orthographe reformée, mon Cherbourgeois préféré.

On sait que la reconnaissance est une maladie du chien non transmissible à l’homme. Faisons une exception. De cette médaille, autant si ce n’est plus que moi, vous êtes responsable et je suis votre éternel obligé. En trois mois, vous en avez fait instruire le dossier et, 40 jours après, vous me la remettez. Le lieu, la date, l’heure et l’organisation de cette cérémonie, en « premier flic de France », rien ne vous a échappé. J’espère qu’il n’y a pas là une raison cachée au maintien de l’Etat d’urgence dont Cécile Dufflot ne se serait pas encore emparée. Il est vrai que je vous avais alarmé en vous confiant qu’il m’a fallu dix-sept mois d’hésitations avant d’accepter d’être chevalier, quand le ministre de l’économie qui me le suggérait était grande, blonde et UMP ce qui, pardonnez-moi de vous le faire remarquer en public, n’est pas vraiment votre genre de beauté. Ce soir, je ne peux oublier Christine Lagarde dans mes remerciements.

Je n’irai pas plus loin de crainte de tomber dans le piège qui consiste pour le récipiendaire d’une décoration à refaire son propre éloge, puis à se lancer, de manière inopportune et désordonnée, dans celui de l’autorité qui la lui remet. L’Allemagne que vous avez toujours vénérée, j’en témoigne très personnellement, vous a rendu voici quinze jours un éloge complet et mérité. On s’y reportera sur les bons sites et dans la presse. Tout juste me contenterai-je, pour tempérer cet hommage à bon droit appuyé, de révéler que vous avez souffert dans votre prime et folle jeunesse de deux graves maladies psychiatriques puisque vous avez successivement été radical de Gauche et fabiusien. Je ne dirai rien de votre hollandisme aggravé…

J’ai parlé de souvenir. Trois personnes, pour elles, pour vous, pour moi, auraient été heureuses d’assister à cette réunion. Accordez-moi le privilège de les faire revivre un instant.

D’abord, ma grand-mère Elisabeth née en 1900. Pour nos promenades, elle avait inventé une géographie de Paris d’où ne surgissaient que des pâtisseries, des salons de thé, des marchands de bonbons. Le Louvre s’effaçait devant le Luxembourg. Le Génie de la Bastille disparaissait derrière les Buttes-Chaumont. Notre Hôtel de Ville, notre Arc-de-Triomphe, notre Tour Eiffel s’appelaient, déjà, Jardin d’Acclimatation. Je ne peux lui adresser qu’un reproche. Elle m’avait inscrit dans une école religieuse qui comptait 3 garçons pour 200 filles encadrés par une escadrille de bonnes soeurs. Le planning familial était défaillant au Cours Notre-Dame de France. Najat Valaud-Belkacem n’avait éclairé aucune de mes camarades sur la théorie du genre. J’ai donc subi très jeune le traumatisme d’être père de plusieurs dizaines de poupons en celluloïd. Mon goûter partait en pensions alimentaires à chaque récréation. Aujourd’hui cette vieille dame aurait mis un chapeau, poudré son visage et glissé, pour sécher ses larmes, un mouchoir dans son sac-à-main qui avait, c’était prémonitoire, la taille d’une malle Vuitton.

Ensuite, mon grand-père Claude né en 1910. Il avait trois passions, Homère qu’il traduisait chaque matin, les femmes qu’il fréquentait chaque après-midi, le socialisme auquel il consacrait le peu de temps que l’Iliade et le beau sexe lui laissaient. Ce n’est pas insulter sa mémoire d’athlète helléniste que de dire que ces deux premières préoccupations  l’une intellectuelle, l’autre physique, le fatiguaient quelque peu.  Dans notre khâgne familiale, outre la dévotion à Saint Blum et Saint Jaurès, il m’a appris que le futile peut être utile, que le grec ancien préfère les luminosités aux couleurs, qu’il faut éviter d’écrire que les cheveux d’Achille sont blonds, mais, le sel et le soleil les ayant blanchis, affirmer qu’ils sont presque bleus comme ceux de Poséidon. Aujourd’hui, il aurait modifié sans regret la première déclinaison et, au grand dam de Felix Gaffiot, avec une certaine logique politique, osé enchaîner rosa, rosa, rosam, rosette.

Ma mère Françoise, enfin, née en 1936. Comédienne à la ville comme à la scène, elle vénérait dans un panthéon fatigant pour ses proches Dany Cohn-Bendit, Jack Lang, Bernard Tapie et Arlette Laguiller. Plus la côte du Président aurait été basse et plus elle l’aurait aimé. C’est dire qu’elle aurait été servie. Aujourd’hui, Monsieur le Ministre, malgré vos fonctions de temps à autres répressives, elle vous aurait pris en affection tentant de vous convaincre d’ériger votre administration, comme « son » Théâtre du Soleil, en coopérative ouvrière de production ou d’installer aux Tuileries une jungle de migrants. Je pense à elle chaque jour. Elle aurait l’âge d’être avec nous.

Le dernier sentiment est le respect. Je le dois à ceux pour qui j’ai travaillé et qui m’ont donné quelques-uns des outils qui pourraient expliquer cette dignité d’un soir. Le Préfet Aurousseau, qui avait été chef de cabinet de Michel Debré, selon les recettes duquel j’ai organisé des milliers de réunions, de cortèges, de plans de table et autres dispositifs de sécurité. Avec lui j’ai appris l’Etat. Je partage cet héritage avec mon vieil ami Philippe Klayman qui, ayant toujours la vocation préfectorale, garde le froc de directeur central des CRS. André Chandernagor qui me racontait comment il entrait dans les compétences du Ministre de la France d’Outre-Mer de veiller au bon état de la libido de Félix Houphouët-Boigny et de son épouse Suzanne ou pourquoi, si on voulait être réélu président du Conseil Général de la Creuse, il ne fallait pas refaire, heureux temps où l’abondance régnait, toutes les routes au même moment. Avec lui j’ai appris les collectivités locales. David Azema, que les conseillers-maître à cataracte prenaient, sans se préoccuper de nos état-civils, pour mon jumeau, s’en souvient certainement. Pierre Arpaillange dont on brocardait la faiblesse comme Garde des sceaux et qui taisait qu’il avait été résistant à 16 ans, engagé dans les forces françaises libres à 17. Avec lui j’ai appris la justice lorsque Nicolas Baverez et Denis Olivennes ne m’obligeaient pas à emprunter avec eux des chemins plus drôles et moins éclairés que ceux qui mènent vers la rue Cambon. Henri Emmanuelli qui me fit appliquer un plan social au PS, inventer quelques jongleries pour en sauver la trésorerie, mettre en place les premières primaires de la Gauche que je suis parvenu à lui faire perdre alors que je les organisais. Il m’apprit la politique. Je continue de beaucoup aimer cet homme généreux et m’inquiète pour sa santé. Laurent Fabius dont j’ai été, sans remise de peine, ni grâce présidentielle, pendant six ans le directeur de cabinet, poste sacrificiel puisque, pourvu d’une robuste constitution, l’ex actuel Ministre des Affaires Etrangères peut tout faire plus vite et mieux que les meilleures de ses recrues y compris modifier la température du globe en faisant, comme Joshué, reculer le soleil. Il m’a appris, sans que j’ai compris s’il s’agit d’une qualité ou d’un défaut, à l’imiter en bien des circonstances et m’a discrètement transmis un peu de ce qu’il avait lui-même retenu à l’école du chat de Château-Chinon. Je mesure le prix de sa confiance et la chance que j’ai eue de parfois, sans doute trop rarement, la mériter.

Au risque d’en étonner quelques-uns, je rajouterai bien à cette liste un nom de plus : celui de Nicolas Bazire qui m’a proposé de le rejoindre en mars 2001 là où il prospérait et se retrouve de ce fait obligé à intervalles réguliers de m’aider à y demeurer. Il est dommage que le mot gentillesse soit galvaudé. Il s’applique à lui. J’utiliserai à son endroit un autre mot oublié. J’ai pour lui de la gratitude.

J’ai évoqué quelques pygmalions. Il y a des amis, ceux de toujours et c’est Franck Bondoux, Cyril Buffet ou Laurent Chalumeau, ceux que j’ai rencontré, comme le docteur Boissin, le défenseur Maisonneuve, le professeur Bergamelli, le bâtisseur Journo. J’aurais pu parler de ceux, collaborateurs, étudiants, candidats sur lesquels j’ai exercé tutelle, ascendant, ou hiérarchie, pour ne pas dire autorité. Ils s’en sont brillamment affranchis comme Guillaume Bachelay, sans doute le premier d’entre eux et, désormais, du PS le numéro deux, Stéphane Israël qui eût la tête dans les étoiles et qui veille sur les fusées Ariane, Julie Burguburu, au cabinet du Président de l’assemblée naguère et aujourd’hui, Edouard Philippe, Maire du Havre que je soumis à la question et dont la venue ce soir traduit le pardon, Timour Veyri et Jean-Baptiste Verrier, d’autres qui sont ici ce soir parmi des centaines d’autres. Il est aussi des femmes et hommes de confiance sans lesquels je n’aurai pu avancer Florence Ribard à Lassay, Fabrice Barbe indispensable dans l’Eure avec Thomas Toutain, Malika et Babeth, Béatrice qui travaille avec moi depuis 15 ans Avenue Montaigne, Christian et Alain avec qui j’ai fait sans jamais quitter l’A13 plusieurs fois le tour de la planète jusqu’à la sortie 19.

L’équité m’amène à y ajouter père et patron. De Bernard Arnault, que dire qui ne soit déjà dans toutes les gazettes si ce n’est justement qu’il est parfaitement différent de ce qui y est écrit. Le Président de LVMH décide, arbitre, inquiète et comment pourrait-il en être autrement, mais il sourit, comprend, partage, tolère, accepte, plaisante et cet entrepreneur remercie ce qui est assez rare pour être répété. En vous priant d’accepter ses excuses Monsieur le Ministre, il nous a préféré ce soir Maurizio Pollini. Je lui indiquerai demain que, par dépit et par vengeance, vous avez décidé la fermeture administrative de tous les Vuitton et l’inscription de Shalimar au tableau des drogues dures. On ne l’y reprendra pas. Puisqu’il est absent, je dirai toutefois qu’il est exceptionnel…

De mon père, mes sœurs, Laurence et Constance qui sont taquines, me poussaient à dire que je gagnais des élections presque aussi souvent qu’il en perdait. Nous nous sommes filialement ravisés. Notre père a un enthousiasme, une culture, une volonté, une curiosité, une jeunesse, une intelligence avec lesquels nous ne parviendrons jamais à rivaliser. Il les a mis au service d’idées souvent neuves, parfois réactionnaires bien que moins extrêmes que celles de son frère, mon oncle Alain, fondateur du Front National. Il les a diffusées d’une écriture abondante, virtuose et unique. S’il nous a fait génétiquement partager l’exaspération qu’il suscite en tout lieu et a manifestement négligé les cours d’économie et de psychologie familiales, il est un modèle et un exemple dont je m’émerveille qu’il séduise encore avec mes enfants une nouvelle génération. C’est un lourd et un merveilleux cadeau que de l’avoir à la tête de notre famille.

Je m’aperçois que je ne vous ai pas dit ce à quoi je crois, ni expliqué la schizophrénie qui me fait passer de Karl Marx à Christian Dior, d’un conseil national à un défilé de mode, de l’essor du capitalisme, qui est mon emploi, à l’extinction du paupérisme, qui est mon dessein. Le moment est bien choisi puisque j’ai accumulé au 1er janvier dernier 16 ans de fonction publique et 16 ans d’activités privées. C’est le partage des eaux. D’un côté concession de service public, pôle de compétitivité, CNED, mairie et région. De l’autre rouge à lèvres, champagne et sacs à main.

Tout cela n’est pas compliqué. Je m’explique. Il me semble que chacun d’entre nous, s’il a eu la chance ou l’énergie de se qualifier, de se diplômer, devrait va vie durant former et éduquer les autres. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours enseigné. Je crois également que toute personne qui réussit dans l’entreprise, devrait s’investir dans la vie publique et donner bénévolement à la collectivité un dixième, un quart ou un tiers de son temps, de sa force, de son imagination et c’est pour cela que je suis élu. Je suis persuadé, enfin, que travailler dans une société qui a su parvenir à générer 35 milliards de chiffre d’affaires, n’est pas simplement compatible, mais complémentaire de la défense d’une ville qui a besoin de 35 millions pour survivre.

J’ai fait des affaires et j’ai fait des lois. Officier de police judicaire, j’ai forcé des portes derrière lesquelles pourrissaient des cadavres et, secrétaire général du leader du luxe, installé des vitrines derrière lesquelles étincelaient des mannequins. Je fais du funambulisme entre travail et capital, marché et Etat, solidarité et entreprise. C’est mon équilibre. Il faut recevoir et restituer. J’ai essayé de prendre le meilleur des deux ce qui peut, socialement et politiquement, me rapprocher de l’hermaphrodite.

A ne pas choisir, on en paye parfois les pots cassés. J’ai rassemblé ce soir mes amis du conseil municipal que j’aime de tout mon cœur et avec lesquels nous communions dans l’amour de Val-de-Reuil, des collègues avec qui je partage la passion et la création qui fondent l’aventure LVMH, ses dizaines de milliers d’emploi créés, l’excédent commercial que cette entreprise produit, la croissance qu’elle génère et la notoriété qu’elle apporte à la France dans le monde, un démiurge comme Jean-Luc Ansel qui anime avec un immense succès le pôle de compétitivité Cosmetic Valley, et, plus important que tout, ma famille, pour qui j’ai de l’admiration, Laetitia-Marie, Toussaint, Annonciade, Piétra, quatre enfants que j’ai tenu dans mes bras et qui sont devenus lycéenne, étudiante, ingénieur, avocat, sans oublier plusieurs pièces plus récentes et rapportées qui, régulièrement convoquées au déjeuner dominical obligatoire, se reconnaitront dans le rôle ingrat du gendre.

Ce sont des univers inconciliables et quand bien même passerai-je une dizaine de vies à ses côtés, je n’arriverais jamais à persuader Catherine, ma femme, que la cohabitation avec 120.000 salariés et 15.000 administrés est la géométrie optimale d’un foyer. Je la remercie d’avoir encore l’envie de me ramener les pieds sur terre par une impatience qui est le contraire de l’indifférence, une incompréhension qui est l’inverse de la  résignation. Elle n’aime pas que je le dise, encore moins publiquement, même à ceux de notre clan, mais, quarante ans, après je saurai aller les yeux fermés là où je l’ai rencontrée.

Un tout dernier mot que je n’avais pas prévu d’ajouter. Il y a 24 heures nous avons dit adieu à mon cousin Eric Kristy. Dans les archives des RG, on doit probablement trouver sa fiche sous la catégorie gauchiste. Mais aux génériques des télévisions, il était le père d’une « femme d’honneur », du « proc » et de « Franck Keller ». Il avait également donné vie à Julie Lescaut, à Imogène, à Chien et Chat, aux Enquêtes d’Éloïse Rome, aux Bœuf-carottes, à Alice Nevers, au juge est une femme. Autant dire qu’à lui seul, il a déjà résolu les problèmes d’effectifs de votre Ministère. Cela méritait que ma conclusion devienne son éloge. Pensez un peu à lui.

J’ai été trop long. Je vous remercie, je vous embrasse et je vous salue.

 

LH CMZ
BC et MAJZ
BC et MAJ 2
Z
LH FIN

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MAJ discours

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