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12 NOV 2019

Retrouvez ici le discours que j’ai prononcé hier matin, à 11 heures, au Monument Mémoire et Paix, à Val-de-Reuil, à l’occasion du 101ème anniversaire de l’Armistice de 1918

Discours de M. Marc-Antoine JAMET, Maire de Val-de-Reuil

Commémoration de l’Armistice du 11 novembre 1918

Monument Mémoire et Paix/Lundi 11 novembre 2019 à 11h00

 

 

Cher(e)s concitoyen(ne)s, on ne cite plus beaucoup Jean Jaurès de nos jours et, dans l’Eure particulièrement, on lui préfère désormais ce grand philosophe, l’égal de Montaigne et de La Boétie, si ce n’est celui de Socrate et Platon, peut-être même leur maître. J’ai nommé le Ministre Sébastien Lecornu.

Plutôt que sur l’œuvre en gésine de l’ancien et toujours maire de Vernon, je me risquerai pourtant à revenir sur une des phrases les plus connues du député de Carmaux. « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène ». En d’autres termes, si vous voulez vraiment la Paix, l’avenir et l’Europe, ne craignez pas d’avoir un État, un pays, une Nation, une patrie, car c’est un cadre de référence dont vous aurez besoin. Symétriquement, si vous êtes vraiment patriote, sûr de vous, de votre culture, de votre langue, de votre devise et votre drapeau, peut-être même de votre manière de vous vêtir et de vous coiffer, ne craignez pas les « autres », les « nouvellement arrivés », les « étrangers ». Ne soyons d’ailleurs pas dupes : quand le Front National fait mine de parler de « migrants », il montre en fait nos compatriotes de la première, de la deuxième, de la troisième génération issue de l’immigration. Quelle grossière imposture ! Ce sont nos compatriotes. Ils ne partiront jamais. Ils ne retourneront jamais vers ces pays que leurs parents, leurs grands-parents, parfois à leur corps défendant, ont quitté. Car c’est ici chez eux. La France est leur maison. Des murs ont disparu il y a trente ans à l’époque de la transition idéologique. Il est inutile d’en bâtir de nouveaux alors qu’il faut affronter ensemble la transition écologique. Le choix n’est pas et ne sera jamais entre déferlante religieuse et narcissisme identitaire, entre communautarisme et populisme.

Ne vous méprenez pas. Ce que je dis ici n’est que du bon sens. Ce n’est pas une déclaration électorale. Ce n’est même pas une première réponse au tract idiot rédigé par un imbécile (à moins que ce ne soit le contraire…), par ce candidat sans scrupules qui a confondu nos boîtes aux lettres avec une poubelle ou une fosse d’aisance en y déposant récemment un questionnaire d’une rare bêtise doublé d’une parfaite méconnaissance de notre Ville. Ce sont, bien plus simplement, des félicitations et des remerciements sincères que j’adresse au conseil municipal, aux corps constitués (dans le même temps que j’adresse un message de bienvenue à Alexandra Capogna notre commissaire), aux habitants, aux enseignants, aux élèves du collège Michel de Montaigne qui nous liront tantôt des textes de Woodrow Wilson, de Georges Clemenceau, d’Aristide Briand, pour leur assiduité de plus en plus grande à ces cérémonies républicaines qui, autour de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, sont un utile repère dans la vie d’une petite Ville comme la nôtre et un temps fort, comme l’est la soirée des vœux de la municipalité en janvier, dans l’information de sa population.

Parmi les trois grands rendez-vous qui nous rassemblent au monument « Mémoire et Paix », le 11 novembre est différent du 8 mai et du 14 juillet. Comme un signe supplémentaire de la barbarie, de l’atrocité du conflit mondial qui ravagea l’Europe pendant cinq ans, l’armistice du 11 novembre 1918 fût signé avec l’Allemagne alliée aux puissances centrales, Autriche, Hongrie, Turquie, dans la clairière de Rethondes alors que le froid et la pluie envahissaient de nouveau les tranchées et que, deux semaines auparavant, la France, saignée à blanc, avait, comme le voulaient ses traditions, célébré au lendemain de la Toussaint le jour des morts.

La concordance de ce double calendrier religieux et guerrier a donné ses couleurs de deuil à cette cérémonie avant qu’elle ne devienne, plus récemment, l’instant sacré d’une commémoration dédiée aux morts de toutes les guerres. Si tant est que les pensées des vivants permettent de redonner fugitivement un souffle à l’esprit des défunts, comme le croyait les anciens romains, c’est vers eux que notre mémoire et notre reconnaissance doivent se tourner aujourd’hui.

Le premier de ces disparus, auquel il nous est fait devoir de songer, est ce jeune brigadier engagé au 1er régiment de spahis de Valence. De ce régiment, nous avons entendu le chant de cohésion, le chant de tradition, « Loin de chez nous en Afrique » en pénétrant dans ce monument. C’était une manière de le saluer. Après le médecin capitaine Marc Laycuras tué en avril au Mali, après les membres des forces spéciales Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, tués au Burkina-Faso en mai, Romain Pointeau est tombé au Mali voici neuf jours, le 2 novembre, pratiquement au même moment que 49 soldats maliens. Chaque cérémonie nous fait redire les mêmes mots. Il était jeune. Il était courageux. Il n’avait pas 25 ans. Il s’était engagé non sur un coup de tête, mais par conviction, par amour de la patrie, trois ans auparavant. Il défendait la France et ses valeurs. Ses parents et ses amis le pleurent aujourd’hui.

Comment ne pas s’associer également à la douleur des familles des quatre policiers de la préfecture de Paris poignardé par un collègue, dont il convient moins de souligner qu’il s’était converti, car là n’est pas la question, que de s’interroger sur le fait qu’il s’était radicalisé, car là est l’inquiétude et le combat qu’il faut mener pour la démocratie, les droits des femmes et la liberté de pensée. Cette municipalité, je le rappelle, ne reconnaît aucune religion, aucune communauté. Elle garantit la pratique de cultes et l’existence d’associations. Dussé-je en décevoir certaines ou certains, y compris parmi les gens qui m’aiment bien, la laïcité reste pour moi un horizon indépassable. Voilà tout ! En revanche, notre Mairie est l’alliée naturelle de la Police qu’elle soit nationale ou municipale

Les forces de l’ordre nous protègent et, en nous protégeant, elles prennent en premier les coups qui nous sont destinés, qui nous auraient touchés. On peut les critiquer et, comme toute institution, elles ne peuvent, agissant dans l’urgence et le danger, être parfaites, ne pas commettre d’erreurs (il m’arrive de le dire…), mais on ne peut supporter qu’elles soient abaissées et injuriées par des chants, des slogans, des discours, alors qu’il faudrait exiger, comme pour bien des agents publics, à l’hôpital, à l’école, des moyens et des budgets pour tous ceux qui veillent à notre sécurité. Le mouvement revendicatif des pompiers ne m’a pas échappé. Pour moi, la sécurité est une priorité. Donc les conditions de vie de ceux qui l’assurent le sont aussi. Cela explique sans doute que j’ai recruté deux nouveaux policiers municipaux, pas les moins dissuasifs, qui seront opérationnels en décembre et que nous soyons en train de mettre en place avec Mme le Procureur de la République et M. le directeur de la Sécurité Publique un plan particulier à la commune, caractérisé par sa sévérité et la rapidité des peines qui seront appliquées contre les délinquants et les auteurs d’incivilités. Je ne suis pas autoritaire, mais j’ai de l’autorité.

Je pense également aux deux gardiens de la centrale de Condé-sur-l’Escaut à qui on avait confié un fauve fanatique qui les a poignardés. Cet attentat est révélateur de ce qui se passe dans nombre de prisons et l’administration pénitentiaire, à tous les niveaux, a un dur métier que lui assigne la société en lui confiant ceux dont elle ne veut plus entendre parler, voire se débarrasser.

De même, je veux espérer que la convalescence des passants qui, à Lyon, ont été blessés par un colis piégé se poursuit, tout comme celle de l’imam de la mosquée et cet homme qui s’y rendait  à Brest, ainsi que ces deux hommes âgés, fidèles qui allaient prier, gravement atteints à Bayonne par la folie, la stupidité, la sénilité d’un ancien candidat du Front National.

J’étais en Chine au début de la semaine dernière. J’ai pu y rencontrer le Président de la République durant sa visite officielle. Il sait quel est mon idéal social-démocrate, ce que sont les valeurs auxquelles, au-delà des vicissitudes des partis, je reste fidèle et où est mon engagement. Je continue de croire en l’égalité des chances et à la justice sociale, à revendiquer la nécessité de la redistribution fiscale et du service public pour assurer entre tous les citoyens, sans la moindre discrimination d’origine, d’âge ou de sexe, la solidarité dans l’éducation, le logement et l’emploi, face à la vieillesse, à la pauvreté et la maladie, la priorité à la lutte contre le réchauffement climatique, à la préservation de la biodiversité, au respect de la planète. Ce sont des nécessités sans lesquelles ne peuvent exister ni vivre ensemble, ni pacte républicain. Cependant, au moment où nous nous quittions, le chef de l’État m’a dit avec une certaine gentillesse et plus fortement encore qu’il l’avait fait avant l’été à l’Élysée : « tu sais : je souhaite que tu gagnes ».

Alors, à mon tour, modestement, de saluer l’un des gestes du Chef de l’État. Tout comme nous nous retrouvons dans cette crypte dont les nuages sont le toit, sera inauguré à Paris, cet après-midi, un monument qui pourrait parfaitement s’appeler comme le nôtre « Mémoire et Paix ». Dans le square Eugénie Malika Manon Djendi, du nom d’une sous-lieutenant d’origine algérienne, parachutée pour contribuer à la libération de la France occupée, déportée et exterminée par les nazis à Buchenwald, six soldats de bronze, cinq hommes et une femme, représentant toutes les armées, portent un cercueil qu’on ne voit pas. C’est un hommage à tous ceux qui ont donné leur vie en OPEX, en opérations extérieures, pour la France depuis 1963, Ils sont 549 morts avant le temps. 34 plaques d’acier égrènent leur nom. 129 tués au Tchad. 141 au Liban, 85 en Afghanistan. 78 en ex-Yougoslavie. 28 au Mali.

Il y a là ceux qui sont tombés en 1995, reprenant, comme à Arcole, un pont aux Serbes, à Sarajevo, pour libérer leurs camarades casques bleus pris en otages, ceux, légionnaires, paras et marsouins ensevelis en 1983 sous l’immeuble Drakkar à Beyrouth, assassinés, comme notre ambassadeur l’avait été peu avant, par le père du boucher de Damas et ses complices libanais, ceux – ils étaient dix – qui, à court de munitions, ont été égorgés, après un effroyable corps à corps, en 2008, par les talibans dans les montagnes d’Uzbin, non loin de Kaboul, ou ceux, officier et sous-officiers confirmés, décimés en 2012 dans la cour de leur caserne en Kapissa par un soldat afghan qui avait gagné leur confiance et qui, alors qu’ils étaient en tenue de sport, désarmés, vida sur eux ses chargeurs, ceux qui résistent aux bandits brésiliens à la frontière de la Guyane, ceux qui ont été bombardés par des avions mercenaires à Bouaké en Côte d’Ivoire. Autour d’eux, il y a l’immense cohorte des blessés, des mutilés, des amputés. Avec eux, il y a nos 7000 compatriotes toujours mobilisés dans les dispositifs Chammal contre Daech en Irak et Syrie, Barkhane et Serval contre les terroristes au Niger et au Mali ou sous le fanion des Nations-Unies. Les oublierions-nous s’ils étaient nos enfants, nos fiancés, nos compagnons d’armes ? Non ! Alors considérons-les comme tels.

Je vais conclure. Cette cérémonie est la dernière de la mandature. Je ne sais si nous avons bien fait. Ce n’est l’heure ni du bilan (il faudra le tirer en 2025 après l’ANRU), ni celui du programme, car c’est depuis longtemps le même : être honnêtes, être travailleurs, être présents, être efficaces, être unis. Je n’ai qu’un seul Parti. C’est Val-de-Reuil. Je ne suis pas seul. J’ai une équipe dont je suis fier. Mais un certain nombre de nos collègues nous ont quittés au cours de ces six années qui étaient, pour certains, des amis en actions, des sœurs et des frères en idées. Je pense à Daniel Moreau qui, prenant sa retraite après une vie professionnelle bien remplie chez Matra devenu Cassidian, voulait nous rejoindre pour mettre ses compétences et ses convictions à la disposition des rolivalois. Je songe évidemment à Bernard Cancalon, ancien légionnaire, nouvel élu, venu de bien loin probablement, mais avec tellement de sincérité pour aider les autres, faire le bien, terrassé par une crise cardiaque dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elle l’aurait peut-être épargné s’il s’était moins dépensé au service des autres. Nous vivons, enfin, avec le souvenir et le sourire de Noëlle Boudard emportée par une atroce maladie et qui, jusque dans ses derniers SMS dictés à sa fille, parlait « des moments parfois merveilleux, parfois difficiles », je la cite, passés à l’état-civil, au conseil ou dans ces campagnes électorales qu’elle adorait. A nos trois collègues, je veux associer le souvenir d’un autre conseiller municipal, d’abord embarqué dans l’équipe de Bernard Amsalem, puis dans la nôtre, et qui, lui aussi, veillait aux baptèmes et aux mariages qu’il aimait célébrer. Il s’agit de Maurice Dumontier qui vient de nous quitter. Ils ont rejoint, pour moi, Jeanne Doucet et Antonio Antonioli dont le souvenir ne me quitte jamais .

Enfin cette cérémonie a aussi pour but de rendre honneur, de rendre les honneurs à ceux qui, de notre Ville, ont bien mérité. Lorsque le protocole immuable de ce rassemblement sera arrivé à son terme, après la sonnerie aux morts, après le dépôt des gerbes, symboliquement déposés par ceux qui sont l’État, l’autorité et la sécurité, je reprendrai la parole pour faire, devant son épouse et sa famille, l’éloge de Claude Aubé qui s’en est allé voici quelques jours.

Un tout dernier mot enfin. Il est pour Patrice Caumont. Lui aussi a été un soldat de la Ville. Ce soldat avait une vie et cette vie était une femme. Ils ont lutté tous les deux, elle bien sûr, mais lui aussi, pour faire reculer la longue et douloureuse maladie, marquant des points, gagnant du temps, mais elle l’a finalement emporté. A Patrice, nous sommes nombreux à avoir pensé ces dernières semaines. Pour ces femmes, pour ces hommes, pour vous je voudrais simplement réaffirmer : Vive Val-de-Reuil. Vive la République. Vive la France.

12 NOV 2019

Claude Aubé n’avait pas ménagé ses efforts ni pour sa commune, ni pour son pays. Val-de-Reuil a perdu l’un de ses derniers anciens combattants, l’un de ses premiers habitants, l’un de ses plus fidèles défenseurs, l’un de ses bénévoles du quotidien. Il était normal et primordial que nous lui rendions hommage.

Hommage à Claude Aubé (1940 – 2019)

Intervention de Marc-Antoine JAMET, Maire de Val-de-Reuil

Monument Mémoire et Paix

Lundi 11 novembre 2019 à 11h00

Cher(e)s ami(e)s,

Claude Aubé aurait-il apprécié l’hommage que sa Ville lui rend aujourd’hui ? Ce n’est pas certain. Son visage qu’un collier de barbe avait depuis longtemps envahi dissimulait une grande modestie, une puissante aspiration à la tranquillité, une volonté affirmée de discrétion. Cet homme de devoir aimait à se réfugier dans l’ombre et le silence. Pourtant il nous revient à nous, aujourd’hui, ses amis, de le replacer en pleine lumière, de dire à haute et forte voix qu’il n’avait ménagé ses efforts ni pour sa commune, ni pour son pays, ni pour Val-de-Reuil, pour la France.

En ce 11 novembre 2019, il aurait dû prendre rang parmi ses camarades porte-drapeaux, ceux de Poses et ceux de Léry avec lesquels il aimait se mêler lors des grandes cérémonies de la République. C’est une mission qu’il n’avait jamais cessé de remplir au cours des trente dernières années. Qu’il pleuve, qu’il vente, il ne l’aurait manqué pour rien au monde. Seule la mort y aura mis un terme. C’est pourquoi Didier Piednoel, le maire de Poses, et Janick Léger, notre conseillère départementale, qui tous les deux l’ont bien connu, ont ressenti l’absolue nécessité de saluer son parcours par un geste particulier d’amitié et de respect. C’est le sens de cet hommage. Avec moi, ils ont souhaité que sa mémoire soit évoquée au cœur de notre monument. Au cœur de ce Monument, mais aussi, mais surtout face à une forêt dont il connaissait le moindre chemin, le moindre sentier. Ainsi pouvions-nous saluer, sans le trahir, de la manière la plus fidèle, la plus juste et la plus appropriée son engagement, ses valeurs et son attachement à un territoire qu’il aimait profondément. C’est sur notre terre que son histoire avait débuté.

Claude Aubé était né à Notre-Dame-du-Vaudreuil le 13 mars 1940 quelques mois avant que le hurlement strident des stukas n’annonce la douleur de l’exode, la honte de la défaite, l’ignominie de la collaboration. Claudius, comme ses amis aimaient à l’appeler, faisait partie d’une famille dont le nom, synonyme de blancheur, si fréquent entre Manche et Seine, se confond avec la Normandie, ses paysages de bocage et ses traditions. Sans doute lui fut-il moins facile qu’à d’autres gamins de connaître et de profiter, sous l’occupation, durant la guerre et dans les restrictions, de l’insouciance et du bonheur de l’enfance. Son adolescence eut pour cadre ce corps de bâtiments longtemps appelé « la Petite Ferme » qui abrite maintenant les tréteaux de France.

Claude Aubé travailla très tôt en débutant aux côtés de son père. Celui-ci exerçait un des plus durs des métiers de cette France du siècle précédent puisqu’il était ouvrier agricole. Au cours de ses années d’apprentissage, le fils ne ménagera ni son énergie, ni sa peine. A ces exploitations qui faisaient la richesse de notre territoire alors rural, il donna sa force et ses bras. Il s’employa notamment au domaine agricole Louis Renault, à cheval sur les deux rives de la Seine, la demeure à Herqueville et la ferme à Porte-Joie, bourgade qui ne portait pas encore ce nom triste, absurde et banal de Portes-de-Seine. Arriva le temps de la rencontre avec celle qui allait partager toute sa vie. Cet univers appartient à Anita, son épouse, qui se trouve avec nous ce matin. Je ne m’y immiscerai pas. Mais leur rencontre va être soumise à dure épreuve.

Claude Aubé n’a que 20 ans, en effet, lorsque la conscription l’appelle. Il rejoint ces hommes qui vont effectuer leur service national, ces Français de métropole qui, à partir de la Toussaint rouge, en 1954, vont traverser la Méditerranée, naviguer de la Bonne Mère à Notre Dame d’Afrique ou à la Santa-Cruz, s’embarquer sur le Ville d’Oranou bien le Ville d’Alger, avant de rejoindre les Aurès, le Sahara, la Kasbah, les frontières avec le Maroc et la Tunisie. Ce qui devait être une simple opération de maintien de l’ordre, d’événement en événement, pour toute une génération, est devenu une guerre qui ne voulait pas dire son nom. Lorsque Claude Aubé arrive en Algérie, en 1960, il ne s’agit déjà plus de confier aux appelés des missions de police. Ils participent depuis des mois, activement, aux affrontements, aux ratissages, aux combats. Dans les deux camps, la violence va attiser la haine. D’un côté, c’est la torture parfois jusqu’à la mort pour arracher aux prisonniers fellaghas renseignements et réseaux. De l’autre, ce sont des atrocités commises par vengeance. Cela finira par l’indépendance, inéluctable, de l’Algérie. Le FLN décimé remporta la victoire politique et la France gagnant l’essentiel de la bataille militaire perdra celle des âmes et des cœurs.

Pendant près de 26 mois, Claude Aubé aura été affecté au poste radio de l’un des régiments d’infanterie de l’Oranais face au Royaume Chérifien, base arrière de ce qu’on appelle encore la rébellion. De ces deux années et demie passées loin des siens, il parlait peu. Les mémoires d’appelés sont souvent des mémoires blessées. Claude Aubé partagea le silence du million d’hommes qui s’en revinrent d’un conflit qui dura huit années, marqua profondément une époque et explique une partie des fractures de la société française, sa méfiance à l’égard des banlieues, le succès de mouvements populistes racistes et xénophobes.

Songeant à cette période passée loin de sa terre natale, Claude Aubé n’exprimait pas de rancœur, d’amertume ou d’animosité. Au contraire, il s’attacha à faire vivre le souvenir de ceux qui, morts pour la France, avaient été ses compagnons, de ceux qui, soldats des deux grandes guerres mondiales, avaient précédé son engagement, de ceux, militaires des opérations extérieures, qui lui avaient succédé sous les drapeaux, honorant leur mémoire, transmettant aux générations futures le sens de leur sacrifice et de leur dévouement.

Libéré de ses obligations militaires, la carrière professionnelle de Claude Aubé se poursuivit. Notre département accomplit dans les années soixante-dix sa mutation industrielle. Croissance, emploi, commerce, c’était encore les Trente Glorieuses. Claude Aubé rejoint alors l’entreprise Labelle, à Saint-Pierre-du-Vauvray, qui, faut-il qu’il nous en souvienne, créée en 1820, figurait parmi les plus importantes fabriques de chaussures en France. Fournissant des marques de prestige, elle ne comptait pas moins de 1200 salariés et voyait chaque matin arriver sur le quai d’une gare désormais moins fréquentée un train spécialement affrété pour acheminer ses ouvriers. A vrai dire, le climat social y était plus proche de Zola que de Google ou Microsoft. C’était avant que son dernier dirigeant, patron d’un autre âge, ne dépose le bilan en 2002 prenant prétexte des 35 heures, pour expliquer son échec.

En 1987, il rejoint Hervé Jimonet, son complice, son frère d’armes qu’il avait rencontré trente ans plus tôt au bal des conscrits de Pont de l’Arche. Il adhère alors à la section de l’Union Nationale des Combattants de Louviers puis, quelques années plus tard, participe avec son ami à la création de celle du Souvenir Français de Léry-Poses. Il ne cessera d’en être l’un des piliers et en était, encore jusqu’à ces dernières semaines, le vice-président. Mais venons-en à l’essentiel. À la fin des années 1980, Claude Aubé et Hervé Jimonet vont accomplir une mission symbolique et sacrée. Ils parcourent les communes environnantes pour vérifier l’état des monuments et des stèles dédiés aux soldats morts au champ d’honneur, aux militaires morts pour la France. À Poses, à Léry, à Connelles, Tournedos, à Andé, à Daubeuf et au Vaudreuil, pendant des semaines, en tout temps et en toute circonstance, ce sont plus d’une centaine de stèles qui seront relevés ou consolidés grâce à leurs efforts et à leur courage. Ils ont ainsi empêché que le nom de milliers d’hommes, originaires de nos villes et de nos villages, ne glissent dans l’oubli. Cette magnifique entreprise justifie que nous nous rassemblions ce matin.

Pour entretenir la mémoire du Pays, il n’est jamais de vaines attentions, ni de démarches inutiles. C’est par le récit collectif que se fait la transmission, l’intégration et la Nation. Je le dis en regardant les dizaines de jeunes présents à cette cérémonie.Claude Aubé, qui avait à cœur d’emmener son petit-fils à chacune des manifestations patriotiques auxquelles il participait, aurait été touché de voir ces collégiens, ces lycéens, ces volontaires du SNU, ces pensionnaires de l’EPIDE et ces jeunes Sapeurs-Pompiers réunis dans la froide humidité d’un matin de novembre.

Notre hommage n’est heureusement pas le premier. Ses plus de trente années de travail citoyen et de veille patriotique furent salués par le Souvenir Français et l’Union Nationale des Combattants. Médaillé du mérite de l’UNC, de la Croix du Djebel, de celle du Combattant, de celle commémorative d’Afrique du Nord et, en 2019, médaillé de Vermeil avec bélière laurée, plus haute distinction remise à un adhérent du Souvenir Français. Ces décorations disent la reconnaissance de ses pairs. Elles rappellent aussi les vertus d’un homme.

En bon normand, Claude Aubé, je l’ai dit, était un taiseux. En bon normand, c’était donc un faiseux, un homme dévoué et courageux. Au retour d’Algérie, Claude Aubé retrouve Anita à Saint Pierre du Vauvray. Ils fondent une famille de trois enfants et rejoignent Val-de-Reuil en août 1985 au 2, rue des Compagnons, adresse symbolique à laquelle ils ont toujours résidé. Il a est vrai qu’il a connu Val-de-Reuil avant Val-de-Reuil. Il était de la sorte plus Rolivalois, s’il se peut, que les pionniers de la Ville Nouvelle, imprégné qu’il avait été, depuis le plus jeune âge, avant que la cité contemporaine soit construite, de son terrain, de la courbe de ses collines, de ses sentiers et de ses rivières,

Vînt le temps des établissements LeTellier, entreprise de serrurerie et de clôture, au sein de laquelle il reste près de 25 ans y faisant la majorité de sa carrière professionnelle. Courageux, je disais, à l’aube ou au crépuscule, Claude Aubé faisait le trajet qui séparait son domicile de son travail à vélo sur une chaussée qui ne comportait ni contre-allées ni pistes cyclables protégées. Il fallait avoir les épaules solides et une belle santé. Il est vrai que Claude Aubé n’était pas le plus frêle des hommes, mais la largeur de ses épaules n’était pas superflue lorsqu’il s’agissait de porter à bout de bras des mètres de clôtures métalliques. La pénibilité de son travail ne lui retirait pourtant pas, m’a-t-on dit, son sourire. Pour ne donner qu’un exemple de ce que fût le quotidien de son labeur, on disait qu’il avait planté chacun des piquets de notre base de loisirs. Il en fut quelques années plus tard le garde-pêche, ne détestant pas ses moments où les chemins du travail rejoignaient ceux d’une nature dans laquelle il aimait vivre, chasser, pêcher. Il appréciait ses instants de liberté.

Claude Aubé, habitant Val-de-Reuil depuis 35 ans, aimait sa Ville. Fidèle du concours des balcons fleuris, il était aussi, au début des années 2000, une figure des Facéties qui, une semaine durant, voyaient la Place des Chalands métamorphosée en jardin suspendu digne d’une moderne Babylone. Après avoir participé aux expositions florales que l’association organisait, il fut pendant près de trois ans le Président des Jardins Familiaux, non parce qu’il convoitait cette responsabilité, mais parce qu’il fallait suppléer à la vacance laissée par celui qui lui avait précédé. Il avait accepté cette tâche sans sourciller. Jean-Pierre Perrault et Jean-Denis Harrou pourront le confirmer. Il aimait rendre service. Spontanément. Sans attendre de contrepartie ou de retour. C’est ainsi qu’il agissait également dans nos écoles et auprès des sapeurs-pompiers de Val-de-Reuil lorsqu’il revêtait les habits rouge et blanc du Père Noel. Il le faisait comme bénévole de chacun des triathlons. C’était une question de loyauté, de justice et de solidarité.

Claude Aubé ne cachait pas ses convictions. Il avait confié à Janick Léger sa fierté de voter pour une femme lorsqu’elle fut élue pour la première fois conseillère générale de Val-de-Reuil. Je n’oublie pas non plus qu’il fut l’un des premiers à me recevoir, à me conseiller et à me soutenir lors de la première de mes quatre élections municipales en 2001.

Dimanche 6 octobre 2019, Val-de-Reuil a donc perdu l’un de ses derniers anciens combattants, l’un de ses premiers habitants, l’un de ses plus fidèles défenseurs, l’un de ses bénévoles du quotidien. Aussi, revenant à mes premiers mots, il était normal et primordial, aux côtés de son épouse, de sa fille, de ses amis et de ses compagnons, que nous donnions son nom au chemin qui mène aux jardins familiaux. Claude Aubé vous nous avez aidés. Nous nous vous remercions et nous ne vous oublierons pas.

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