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15 MAR 2017

J’intervenais ce matin en ouverture du 3ème « Congrès Olfaction » co-organisé par l’ISIPCA et la Cosmetic Valley

Ouverture du « CONGRES OLFACTION »

Mercredi 15 Mars 2017, 10h00/Auditorium de la CCI d’Ile-de-France – Porte de Champerret

Intervention de M. Marc-Antoine JAMET,

Secrétaire général du Groupe LVMH et Président de la Cosmetic Valley

 

Chers amis,

Je suis heureux d’être ici, avec vous, ce matin, pour inaugurer la troisième édition d’un congrès unique en France puisque dédié à l’olfaction. Co-organisée par l’ISIPCA et la Cosmetic Valley, cette rencontre était, à ses débuts, logiquement centrée sur les liens très évidents, qu’entretiennent olfaction, fragrances, parfums et arômes. Il s’est depuis, et singulièrement cette année, élargi et enrichi suscitant un vaste brainstorming porteur de perspectives nouvelles, de découvertes enthousiasmantes, d’intérêts mutuels, d’inspirations créatrices et de possibles coopérations entre tous les acteurs de notre secteur.

Je veux donc saluer et accueillir, avec chaleur et respect, avec admiration et reconnaissance également, les 300 participants, scientifiques et savants qui formeront le public et les intervenants de ces deux journées de colloques et d’échanges. Ils en sont les ouvriers venus de trois mondes complémentaires dont les interactions sont fécondes.

D’abord, le monde de la recherche. C’est celui du temps long, de la vision, de l’imagination. Après mon intervention qui sera certainement la moins ardue et la plus aride, ses représentants se succèderont à la tribune. Ils ont été sélectionnés par notre Comité Scientifique. C’est dire leur qualité. Ils sont, qui plus est, issus de viviers d’excellence que sont le CNRS, l’INRA, AgroParisTech, les Universités de Tours, de Paris 10 et de Genève, nos CHU (ici représentés par ceux de Nice et de Bicêtre). Bref, ils constituent la fine fleur de la recherche française. Ils nous font l’amitié de présenter devant nous leurs travaux. Je veux leur dire pour cela toute ma gratitude. De communication en communication, ils vont dessiner, ainsi, des perspectives d’avenir, ouvrir des pistes insoupçonnées, démontrer le lien fort entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Dans le secteur cosmétique où l’innovation est permanente, cette audace, cette habilité, cette hardiesse sont indispensables pour conforter le leadership de la filière française et sécuriser son avenir. Elles sont aussi excitantes qu’essentielles. Nous les devons à leur patience, à leur rigueur, à leur flair…

 

Ensuite, le « monde des passeurs de connaissance ». Il est incarné par nos « académies françaises », nos instituts, que sont la Société Française de Cosmétologie, dont je salue le Président Patrice Bellon, et la Société Française des Parfumeurs. Mais il est illustré également, par l’ISIPCA dont je veux féliciter, la directrice Cécile Ecalle-Montier, pour l’excellence de son magistère et la qualité de ses ouailles. Référence mondiale dans le domaine de la formation aux métiers de la parfumerie, lieu de transmission de savoir-faire, l’ISIPCA, est, avant tout, à mes yeux, la seule école du secteur à associer avec subtilité science et commerce. Institution phare de ce « Domaine d’Excellence Stratégique Territoriale » que la Cosmetic Valley a voulu créer sur ce territoire des Yvelines, elle symbolise ainsi les synergies que ce Congrès appelle de ses vœux entre le monde de l’expérience et celui de sa mise en pratique, au sein des entreprises.

Le « monde de l’entreprise », enfin. Il est tout à la fois notre tuteur et notre terreau. Vous êtes nombreux, grands groupes, PME et TPE, à assister à ces Masterclass de la cosmétique (L’Oréal, LVMH Recherche, L’Occitane, Takasago, Bulgari, Clarins, Chanel, Groupe Rocher, J&J, Firmenich, Givaudan, Shiseido, Symrise, Mane, Robertet, IFF, Puig auquel je ne peux songer sans adresser aussitôt quelques mots amicaux à Christian Combeau). Entrepreneurs, vous allez durant ces 48 heures, saisir l’amplitude des champs d’application qu’ouvre le « futur olfactif » ce qui ne vous fera que davantage reconnaître l’importance de ce congrès. Sa réunion bi-annuelle est indispensable pour que la filière française demeure, dans un environnement toujours plus concurrentiel et changeant, le leader et le prescripteur mondial dans le domaine si pointu qui le nôtre. Sans ces grands noms et leur soutien nous ne pourrions nous réunir.

Tous les trois ensemble vous êtes le bras armé scientifique dont nous avons besoin : dans vos laboratoires, vous développez et explorez cette discipline scientifique récente, l’olfaction, mieux connue du grand public depuis qu’un prix Nobel de médecine a été octroyé, en 2004, à deux chercheurs américains pour leurs travaux ayant permis de comprendre comment des cellules du nez perçoivent les odeurs et transmettent l’information au cerveau.

On me dit, bien que mes compétences scientifiques ne me permettent malheureusement pas de parler votre langue et d’en comprendre précisément les récits, ce que je regrette, que cette recherche naissante, sur les mécanismes de perception, se décline essentiellement en deux grandes catégories :

 

  • Moléculaire, avec l’étude des interactions entre récepteurs olfactifs et molécules
  • Physiologique, par l’étude de l’impact de l’olfaction sur le corps et en permettant, par-là, d’explorer le fonctionnement des émotions, de la mémoire ou de divers troubles (du sommeil, anxio-dépressif) qui nous affectent.

 

Ce que je comprends de cette dualité, qui m’intrigue et me fascine, c’est le large spectre de questionnements auxquels vous contribuez à apporter des réponses et les nombreux domaines d’application, dans la vie quotidienne, le commerce ou l’art, qui, grâce à vos reflexions, s’ouvrent à nous.

Si les éditions précédentes de notre congrès ont principalement exposé les liens étroits entre olfaction et parfumerie/arômes, il n’y a désormais plus un grand débat de notre société qui n’ait pas un lien avec vos travaux. Vous nous parlez maintenant d’identité, de mémoire et d’émotions, depuis la vie intra-utérine jusqu’aux marches les plus éloignées de la vieillesse. Vous démontrez que ce sens, longtemps méprisé, qu’est l’odorat, contribue à forger, dès avant la naissance, des souvenirs durables qui peuvent influer sur la vie d’un enfant puis d’un adulte. Vous prouvez qu’à chaque moment intense de l’existence les sens se reformulent et la perception des odeurs évolue. Vous trouvez une lumière dans le sombre tunnel des maladies dégénératives du vieillissement, celle d’Alzheimer hélas si dévastatrice, en réveillant des bouts de mémoire grâce à des odeurs qui ont plus d’écho pour le patient que des mots. Vous introduisez de prometteuses prises en charge non médicamenteuses dans le traitement de divers troubles (du sommeil, anxio dépressifs, neuropsychiatriques). Vous nous révélez, par l’étude des empreintes émotionnelles, que l’odorat, comme le goût, varie selon les époques, mais aussi selon les lieux, que les fragrances qui séduisent un Français, ne seront pas nécessairement prisées d’un Chinois ou d’un Indien, qu’il y a des raisons à cela et qu’alors que l’odorat est longtemps resté, comme la musique, un sens que l’on ne pouvait dire et décrire, vous pouvez aujourd’hui nous en révéler les arcanes et les secrets.

Votre travail est notre crédibilité. La preuve que le pudding existe est qu’il se mange. La preuve que la Cosmetic Valley est un pôle de compétitivité est qu’elle rassemble un millier de laboratoires, publics et privés, des dizaines de milliers de chercheurs. Nous n’avons pas la puissance de la chimie ou l’intérêt vital pour la santé humaine de la pharmacie, mais nous menons pourtant de front 170 projets de recherche pour 300 M€. Vous êtes le socle scientifique, dans cette compétition sectorielle, de notre légitimité, de notre renommée, de notre authenticité, face aux consommateurs, face aux administrations, face aux opinions.

Votre travail est, aussi, notre garantie, notre service après-vente, notre assurance qualité, car la parfumerie/cosmétique française repose sur le Made in France, lui-même assis sur le tryptique sécurité/environnement/innovation qui fait notre originalité et notre force dans le monde et, dont chacune des trois composantes a besoin de la vérification des éprouvettes et du test des précipités.

Vous êtes, enfin, notre futur. Car nous ne sommes ni les plus forts, ni les plus puissants dans notre industrie. Nous n’avons pas les forces de production les moins coûteuses. Nous n’avons pas le plus grand marché. Mais grâce à vous, à votre travail, à votre intelligence, nous sommes les plus agiles, les plus surprenants, les plus étincelants. Si, en mai prochain, nous serons les invités d’honneur du salon de Shanghai, le plus grand au monde en matière de cosmétique, c’est parce que vous êtes derrière nous, avec nous, caution en dernier recours du sérieux et de la solidité de nos méthodes, de nos process.

Les domaines d’application de vos recherches sont en effet, sans limite : alimentation, œnologie, cosmétique qui sont 3 domaines majeurs pour l’économie française, médecine, transports, technologies numériques… et c’est une chance pour nous de travailler avec toutes ces entreprises, startups, PME et grands groupes qui, dans le sillage de vos découvertes, innovent et imaginent des solutions pour mesurer, mieux comprendre et prédire l’impact de l’olfaction.

Dans tous ces domaines en effet, les outils qu’elles développent, par exemple pour compiler des données scientifiques et des données consommateurs via l’utilisation du big data et de la modélisation, dans l’objectif de comprendre ce que le consommateur ressent, ouvrent de nouvelles voies pour :

– proposer des produits personnalisés qui fassent qu’une fragrance corresponde à un état d’âme.

– ajuster les produits et les environnements dans un objectif santé ou de bien-être afin de faire varier la qualité de l’air ou créer une atmosphère relaxante -ou dynamisante- dans une voiture.

– affiner, aussi, le marketing et la communication en trouvant les mots qui correspondent aux émotions suscitées par telle ou telle fragrance, en fonction de la culture du destinataire du message.

L’application des recherches moléculaires doit, par ailleurs, nous aider à ouvrir de nouveaux champs olfactifs, par exemple à l’aide de nouvelles extractions ou par l’expression des « fleurs muettes » comme le muguet, et nous permettre de rechercher de nouvelles molécules à l’instar de la « calone », à l’odeur marine, qui dans Aqua di Gio, dans les années 90, a contribué à l’invention d’une nouvelle fraîcheur en parfumerie et s’est accompagnée d’un grand succès commercial.

Les recherches que vous menez nous aident à progresser dans ces directions. Elles établissent notre capacité à nous renouveler et à répondre aux grandes tendances, au premier rang desquelles la personnalisation, qui défient nos activités. C’est pourquoi, la Cosmetic Valley s’engage résolument dans l’innovation cosmétique à travers son Congrès international, Cosmetic 360 dont la 3ème édition aura lieu en octobre au Carrousel du Louvre à Paris, et son concours Cosmetic Victories, dédié lui aussi à l’innovation. C’est donc, pour nous, cosméticiens, une grande chance et une vraie cohérence que vous soyez là et que nous soyons partenaires.

En explorant tous ces domaines, vous avez donné raison aux quelques philosophes et écrivains qui, loin de l’approche générale qui a longtemps prévalu et voyait dans l’odorat un sens médiocre, stimulus ingrat des bas instincts de la nature humaine, sens pré-civilisationnel pour Freud, ont pressenti les continents de connaissance qui se profilaient avec l’étude de l’olfaction. Démocrite, fondateur de l’atomisme et son disciple romain Lucrèce, représentant de l’épicurisme, considéraient ce sens comme un instrument essentiel, responsable des sentiments, des pulsions et des désirs, affirmant le lien entre olfaction, émotions, et connaissance de soi. On ne fera l’injure à personne de rappeler que Proust et sa célèbre madeleine ont mis en avant le lien entre olfaction, goût et mémoire. Ces précurseurs littéraires ou philosophiques pressentaient les « perspectives » que vous étudiez aujourd’hui par le prisme de la science.

Durant ces deux jours, vous dépasserez vos limites. Vous irez bien au-delà du monde de la parfumerie cosmétique pour explorer des pans entiers de la médecine, des neurosciences, du numérique, de marketing. Vous n’aurez toutefois pas encore épuisé les domaines de l’olfaction. L’histoire sociale (avec une étude comme Le Miasme et la Jonquille, d’Alain Corbin, qui retrace l’évolution du changement de notre sensibilité aux odeurs, de notre tolérance aux mauvaises odeurs et le long chemin vers le « silence olfactif » contemporain), la psychologie (je pense à cette autre étude, suisse celle-ci, montrant que la représentation que nous avons de nous-même ou d’un groupe social peut influer sur notre perception olfactive – les Suisses ayant un nez particulièrement fin quand il s’agit de chocolat !), l’art enfin (avec la création, toujours en Suisse, du Scent Culture Institute pour promouvoir l’appel artistique à l’olfaction ou les installations de la plasticienne coréenne Koo Jeong A. telle Before the rain, développée avec le parfumeur Bruno Jovanovic, qui recrée l’atmosphère lourde, faite d’odeurs de pollution, d’humidité, de musc, de goudron et de bois sec, d’une ville asiatique avant la pluie) sont autant de champs d’exploration qui pourraient, aussi, inspirer nos congressistes futurs.

Je veux donc espérer que, aux sciences exactes, nous pourrons adjoindre pour notre 4ème édition, les sciences sociales, qu’à la chimie puisse se mêler l’art, et que la cosmétique rassemble, à l’exemple de cette assemblée, toutes les disciplines, tous les savoirs, toutes les connaissances. Merci de votre mobilisation. Courage pour votre travail. Félicitations pour votre engagement.

 

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